Pour vendre une destination touristique, des agences spécialisées font appel à une écurie de « journalistes » de voyage. Dans ce contexte précis, il convient de placer le mot journaliste entre d’énormes guillemets puisque ces mercenaires de la plume sont engagés pour écrire des pages publicitaires vaguement déguisées en articles de presse.
Ces « travel writers » (comme disent maintenant les Français) sont parfois des journalistes à la retraite ou même des reporters habituellement sérieux qui écrivent à l’occasion sous un nom d’emprunt pour financer leurs voyages d’agrément. La compagnie de marketing touristique pousse l’hypocrisie jusqu’à affirmer que les journalistes sont libres d’être aussi critiques qu’ils le désirent. Mais en fait, les règles du jeu sont claires. Un article élogieux garantira d’autres voyages « aux frais de la princesse » alors que les vérités qui dérangent mettront fin à votre carrière de vacancier professionnel. Quant aux journaux, que ces faux articles devraient déranger, ils sont trop contents de bénéficier de textes gratuits souvent accompagnés de pubs de voyagistes. Cette vieille méthode de mise en marché s’est beaucoup modernisée à l’âge de l’informatique. Les blogueurs qui se disent indépendants sont légion ainsi que les compagnies spécialisées dans la création de « buzz » sur les réseaux sociaux. Ces techniques de mise en marché peuvent parfois faire des miracles.
Comment expliquer autrement l’engouement soudain pour Bordeaux ? Cette municipalité du sud-ouest de la France est certes dans une région magnifique mais la ville elle-même a longtemps eu la réputation d’être ennuyeuse. Décidée à devenir un centre touristique, la ville modernise ses quais pour bateaux de croisière, nettoie les vieux bâtiments historiques et inaugure un grand musée du vin à temps pour la mise en service de la nouvelle ligne de chemin de fer à grande vitesse permettant de rejoindre la capitale en deux heures. Ces efforts sont louables mais ne suffisent pas, à mon humble avis, à transformer profondément cette ville. Pourtant, en quelques mois, des articles de voyage élogieux apparaissent un peu partout. Le New York Times affirme que Bordeaux est la deuxième destination incontournable de la planète. Rien que ça ! Ne voulant pas être en reste, le Los Angeles Times nous dit que c’est la destination touristique numéro un de 2017. La revue Lonely Planet abonde dans le même sens. Des journaux espagnols y vont de quelques olés admiratifs, ce qui n’est peut-être pas surprenant quand on sait que l’Espagne est la deuxième source de touristes étrangers à Bordeaux après la Grande-Bretagne. Quant à moi, qui n’accepte aucun cadeau, qui n’écris pas de pub et qui ne suis payé (si peu) que par La Source, je peux vous affirmer que j’ai trouvé Bordeaux aussi ennuyeux qu’avant. Heureusement qu’il y a le vin.
Allez plutôt à Lyon ! On y mange mieux, la ville est plus intéressante et, à mon avis… plus jolie. D’ailleurs, Lyon et Bordeaux reçoivent toutes les deux le même nombre de touristes, à peu près six millions. Mais Lyon mise surtout sur les congrès, ce qui n’implique pas tout à fait la même stratégie de marketing. Mais si demain l’Office de promotion du tourisme lyonnais change d’approche, les mêmes « travel writers » vous diront que Lyon est devenue incontestablement la première destination touristique de la planète et qu’il faudra vous empresser d’y aller pour être à la mode.