Arrivée à Vancouver en 1982, je vais vous en décrire des aspects que la plupart d’entre vous êtes trop jeunes pour avoir connus ! Mon cheminement s’est fait en douce à
partir de mon Québec natal, avec un arrêt en Ontario pour les études universitaires, suivi d’un quart de siècle en Alberta pour y élever nos enfants, puis deux ans d’enchantement au Nouveau-Mexique. Le nid vide, nous acceptions le transfert de mon époux sur la côte ouest pour y reprendre notre vie de couple.
J’avais déjà fait de courts séjours à Vancouver, durant la saison des pluies, et n’avais pas été convaincue… Une première surprise : la plupart des citoyens semblaient tout à fait insensibles à la pluie, se baladant avec nonchalance sans parapluie ni imperméable ! Après quelques mois en location, nous avons décidé de nous installer au cœur de Kitsilano. À cette époque, une maison unifamiliale avec petit jardin se vendait pour environ 150 000$. Le quartier, avec ses reliquats de l’ère hippie, m’a plu par sa diversité culturelle, ses petites boutiques et sa profusion de restaurants. Les Grecs dominaient mais s’augmentaient d’immigrants surtout européens.
Donc, Vancouver a commencé à exercer ses charmes. On critique beaucoup son système de transports publics, mais j’avais deux bus qui venaient aux 7 minutes, alors qu’à Edmonton certains ne se montraient qu’une fois l’heure, ce qui pouvait être mortel dans les froids de -40 C. Et ici on ne se faisait pas dévorer par les moustiques et les mouches noires ! J’ai trouvé un club de randonnée qui m’a fait découvrir toutes sortes de sentiers tant en montagne (pre-Grouse Grind !), que sur les îles. La piscine de Kitsilano, nouvellement retapée, n’avait cependant pas encore de couloir réservé aux nageurs sérieux !
Notre bibliothèque de quartier offrait des livres en français et le journal Le Monde, ce qui est encore le cas. Quelques librairies, hélas maintenant disparues, vendaient des livres, des disques, des journaux, des revues et des mots croisés en français et autres langues, notamment Sophia Books et Oscar’s. Les grandes librairies ont fini par céder également, telle Duthie Books. Plusieurs bouquinistes de livres usagés sont aussi devenus désuets. Le papier cède le pas à l’électronique… J’ai été bénévole dans une école élémentaire avec un programme d’immersion française. Je tapais des petites cartes de bibliothèque sur une machine à écrire électrique, et j’étais charmée quand des élèves chinois me parlaient en bon français. J’ai été comblée quand j’ai découvert un journal en français auquel je pouvais participer. Vous l’avez deviné, c’est La Source !
Le paysage urbain a énormément changé. Les gratte-ciel n’avaient pas encore envahi le centre-ville, alors dominé par l’Hôtel Vancouver (maintenant le Fairmont) et l’église anglicane All Saints. Le magasin à rayons Woodwards était la mecque des acheteurs. Canada Place n’avait pas encore déployé ses voiles. Le Telus Science World et la Place des Nations datent de l’Expo 86. Certainement, le SkyTrain n’existait
pas encore ! La rive nord de False Creek, de l’île Granville au pont Cambie offrait pour tout paysage les restes délabrés d’un ancien parc industriel. Et les flancs des montagnes de la rive nord étaient laissés à leur faune naturelle plutôt que d’être envahis toujours plus haut par des maisons haut de gamme (là où il pleut et neige davantage !). Au niveau résidentiel, les démolitions étaient rares et les clôtures basses, favorisant les rencontres entre voisins. Les bords des ruelles foisonnaient de baies et de fleurs sauvages. Je crois que nous serons les derniers à résister dans notre petit bungalow, de plus en plus entourés de grosses boîtes avec leurs hautes palissades et leurs habitants anonymes.
Malgré ces changements, je suis heureuse de vivre à Vancouver. Les gens sont sympathiques : j’en rencontre tous les jours dans le bus, au coin d’une rue, à la bibliothèque, durant mon jardinage, et les coïncidences sont souvent remarquables. Il existe encore une population qui n’est pas vissée sur des bidules électroniques et reste consciente de son entourage. Je peux dire que j’ai trouvé ici un habitat où j’ai pu m’épanouir de bien des façons et, je l’espère, contribuer à son atmosphère accueillante et
défoulée.
Vancouver, c’est l’endroit le plus différent possible tout en restant au Canada.