Le travail a changé. La majorité des Canadiens sont employés à temps partiel, sur contrat, à durée déterminée, en travailleurs indépendants ou sont auto-entrepreneurs. Cette nouvelle donne s’accompagne d’une certaine précarité : congé parental, assurance santé, retraite, sécurité de l’emploi… Autant d’acquis qui sont remis en cause dans cette nouvelle configuration. Afin de préparer au mieux les travailleurs de demain, une session Urban Worker Project Skillshare sera organisée le 1er mars à SFU dans le cadre du symposium Brave New Work, qui durera du 26 février au 7 mars.
Le temps d’une journée, plus de 150 travailleurs indépendants, contractuels, ou auto-entrepreneurs, se réuniront à SFU. L’objectif : apprendre des autres dans tous les domaines qui incombent désormais au travailleur moderne : fiscalité, marketing, comptabilité, juridique… Le partage des savoirs et des compétences s’avère clé pour affronter ce monde changeant.
Un monde en ébullition
Le marché du travail est en plein bouleversement : 90% des nouveaux emplois créés sont tempo-
raires, la moitié des tâches pourraient être automatisées avec les technologies actuelles, un tiers des Canadiens sont travailleurs indépendants, et ils seront 50% d’ici 2020. Et ces mutations ne sont pas près de s’arrêter avec des taux de croissance technologique inégalés.
« Les choses changent. Un travail plus fracturé a un impact sur nos communautés, sur notre vie de famille. Beaucoup de responsabilités pèsent désormais sur les épaules des employés », relève Andrew Cash, journaliste et cofondateur de l’Urban Worker Project.
Si le monde du travail est en plein bouleversement, c’est le travailleur qui en subit les conséquences. « Il y a des implications au niveau de la garde d’enfants, des transports publics, de la pression sociale, de la santé, évoque l’ancien député torontois, également musicien, auteur et producteur de musique. Même si un grand nombre de personnes ont choisi de travailler de cette façon, elles aspirent tout de même à une vie professionnelle stable ».
Le partage pour surmonter les défis
Le 1er mars, la session Skillshare permettra ainsi d’échanger. « Les gens souhaitaient un accès à la connaissance : comment faire ses impôts, comment écrire un plan d’affaires, comment faire sa facturation, comment obtenir du conseil juridique… », rapporte Andrew Cash.
L’objectif est d’outiller toute une nouvelle génération de travailleurs « qui essaient de naviguer ces nouveaux courants ». Le cofondateur se veut optimiste : « On espère que les gens partiront avec des réflexions, des compétences, et un début de compréhension qui les aideront à mieux envisager leur travail ». Car le réseautage est un aspect essentiel de la rencontre : « Il n’y a pas d’orientation ou d’accompagnement de carrière pour nous. On est en dehors du cadre traditionnel. C’est pourquoi il faut bâtir une communauté et faire grossir la voix des travailleurs indépendants », ajoute-t-il.
Le futur à nos portes
Pour la docteure Kendra Strauss, directrice du programme des études sociales à SFU, il faut saisir les occasions que présentent ces changements. « Les gens sont voués à travailler de façon plus flexible et plus créative, mais il y a aussi des enjeux liés à la sécurité des revenus, à l’accès aux avantages médicaux, et à la représentation salariale », nuance-t-elle.
La chercheuse n’est pas surprise par les inquiétudes. « L’automatisation n’est rien de nouveau. Réfléchissez à la manière dont la production artisanale a été transformée par la révolution industrielle avec l’émergence des usines ». En outre, elle souligne que les prévisions des années 1960 s’avèrent aujourd’hui fantaisistes : « On pensait que nous n’aurions plus à travailler grâce aux machines, mais en réalité le nombre d’heures travaillées en moyenne a augmenté dans ces 50 dernières années ».
Tom Walker, conférencier à la Faculté d’études sociales de SFU, est critique sur la question. « On s’est longtemps bercé d’illusions sur le futur, dans une sorte d’optimisme aveugle », estime-t-il. Le chercheur constate que la technologie s’est en fait imposée aux travailleurs : « Nous sommes immergés dans la technologie, nous n’avons pas le choix. Les gens ne contrôlent pas la technologie, ils s’y adaptent », lance-t-il.
Une affaire de contrôle
Pour Tom Walker, c’est le monde de la finance qui est aux commandes. « Les choses changent de la façon dont la finance le veut. Nous sommes bloqués dans une logique de croissance économique qui repose sur l’expansion de la dette, c’est un cercle vicieux », juge-t-il. Pour lui, tout se joue ainsi entre quelques mains : « Il y a relativement peu de monde qui contrôle la technologie : les milliardaires, les banques, les Google et Microsoft, les gens à Davos… », évoque le conférencier.
Irrémédiablement, le statut du travailleur est altéré. « Son statut dépendra d’un sursaut éventuel d’activisme, d’une nouvelle forme de coercition exercée par les travailleurs sur le monde de la finance », considère Tom Walker. Un éveil d’autant plus incertain que, historiquement, ce sont les syndicats, les grèves, et les mouvements sociaux qui ont provoqué les avancées salariales, un scénario de moins en moins probable dans la nouvelle configuration.
Kendra Strauss perçoit elle aussi tout l’enjeu de ces transformations. « La distribution des gains technologiques est faible, analyse-t-elle. Il y a des gains incroyables en productivité mais ils ne se reflètent pas dans les salaires car ils sont capturés par les chefs d’entreprise et les corporations ». D’après elle, la période actuelle est loin d’être « démocratique », favorisant plutôt une situation de monopole capitalistique. « Pensez à Amazon, Google, Apple… », évoque la chercheuse.
La session Skillshare Urban Worker Project, le 1er mars, tentera ainsi d’améliorer « la survie des travailleurs indépendants » pour Andrew Cash. Une entreprise de longue haleine au vu des bouleversements sans précédent de notre époque.
Pour participer : www.sfu.ca/publicsquare/2018-summit/skillshare.html