Vous êtes arrivé à Vancouver il y a peut-être trois mois, un an, dix ans. Alors peut-être que vous aussi vous avez eu cette impression de danser sous la pluie, de marcher sur un fil.
J’ai choisi Vancouver pour des raisons banales : la météo, la langue, le prix du billet d’avion. La décision importante, c’était de partir. Partir pour quitter ce sentiment d’étouffement face à une vie peut-être trop monotone et rangée. Partir et faire tomber les barrières de la différence ; être un étranger à l’étranger. Se mettre à la place de l’autre pour se remettre en perspective. Partir pour être à nouveau et se redéfinir après l’orage. Vivre une aventure, entourée d’autres êtres humains avec une sensibilité et une culture différentes. S’oublier pour se redécouvrir.
À peine posée sur le sol canadien, en tête de rame dans le Skytrain qui mène de l’aéroport à Waterfront, j’observe les paysages qui défilent. C’est tout un symbole ce Skytrain qui vous mène à bon port en vous laissant parfois voir ce qui vient devant, l’avenir qui vous attend. Et Vancouver se dévoile. Je marche seule, puis tu marches avec moi, et au détour d’un événement de hockey, on marche toutes ensembles entre copines. Seules et ensembles à la fois, embarquées sur le même bateau.
Je déambule sur la plage à Kitsilano et je me pose la question : « Suis-je faite pour une vie ici ? Suis-je acceptable auprès de ces gens ? ». Une vague me glisse sous les pieds, puis une deuxième. Et je me laisse porter par cette même vague qu’est la « famille » française à Vancouver. Celle qui vous apporte l’aide, le soutien, l’outil, l’amitié. Oh oui, l’esprit français est bien présent. La résistance s’organise pour que les maquisards puissent s’ancrer dans cet environnement loin d’être hostile. Plutôt chaleureux même. Codé, certes, avec ces amitiés qui se font et se défont au gré des événements et son marché de l’emploi étonnant.
Je suis ingénieur industriel. Mais pas ici. Je suis généraliste en France. Mais pas ici. Alors je suis qui ? Je peux faire quoi ? Et comment ? Je suis cette personne qui n’a même pas peur, se relève les manches et s’apprête à vous prouver qu’elle mérite votre confiance. Je suis là où l’on ne m’attend pas. À relever de nouveaux défis. Cuisinière ou opératrice de lignes, assistante administrative ou journaliste, parfois même coordinatrice d’événement. Peu importe, pourvu que je sois utile.
Et je continue d’avancer. Parfois, perdue dans un livre, tel un petit rat de la Bibliothèque publique de Vancouver. Parfois, voire même souvent, en rencontrant de nouvelles personnes. Je visite, je rencontre, je découvre, je bois du café. Beaucoup de café. Vous êtes là et vous tendez tous la main les uns aux autres. Vous participez avec moi à ces échanges étonnants, et on s’amuse. On retrouve un sourire, un rire, un éclat. Et on est bien.
Je marche sur mon fil. Parfois je me déséquilibre face à tant de nouveautés. Est-ce que je vais réussir à traverser ? À trouver et garder mon équilibre ? Quelque part, peu importe. Je suis déjà devenue l’une des vôtres. Je suis ici et maintenant une partie de ce « nous » qui n’était qu’un « vous » avant.
Peu importe que je rentre en France ou que je reste au Canada. La France est belle. C’est le pays qui m’a vu grandir et j’en suis fière. Et le Canada est magnifique. C’est le pays où j’avance à nouveau et où je me reconstruis. L’un froid et chaleureux. L’autre passionnant mais clivant. L’un comme l’autre peuvent tout autant vous tendre les bras que vous esquiver.
Mais peu importe. Ce qui compte, c’est que si un jour il y a d’autres orages, moi, ici, j’ai appris à danser sous la pluie.