Si la liberté d’expression semble essentielle aux institutions démocratiques, elle entraîne parfois des dérives : provocations, transgressions, voire insultes ou menaces. C’est ce paradoxe qui sera abordé lors de la conférence Weaponizing Words : The Dilemmas of Free Speech sur le campus de l’Université Simon Fraser le mercredi 27 juin. Ce moment de parole sera animé par l’orateur Samir Gandesha, professeur et directeur de l’Institut des sciences humaines.
« J’ai toujours vigoureusement défendu le droit de chaque homme à sa propre opinion, aussi différente qu’elle puisse être de la mienne. Celui qui refuse à un autre ce droit se rend lui-même esclave de son opinion présente car il se prive du droit d’en changer ». Ces mots de Thomas Paine, révolutionnaire britannique du 18e siècle, semblent entrer en résonnance avec la récente
actualité.
Au mois de février dernier, Milo Yiannopoulos, partisan de Donald Trump, s’apprêtait à prendre la parole lors d’un rassemblement conservateur en Californie. Figure de l’extrême droite américaine, connu pour des remarques sexistes, transphobes et xénophobes, son discours fut annulé et entraîna des contestations à l’Université de Californie à Berkeley. La liberté d’expression continue de soulever des questions sur sa légitimité et ses limites, et peine à trouver son équilibre. Si elle est mise en péril dans certaines régions du monde, défendue ardemment par les démocrates, elle est parfois à double tranchant là où elle va de soi.
Une porte ouverte à la discrimination
La liberté d’expression peut provoquer des discours haineux, qui justifient qu’on la contrôle. « La liberté d’expression est nécessaire mais ne donne pas pour autant le droit de démolir autrui par discrimination d’une communauté à laquelle il fait partie. Autrement on passe de l’expression à la haine », souligne Morgane Oger, directrice de la fondation Morgane Oger, elle-même victime de discours haineux envers sa transsexualité. « Toutes les logiques et les discours basés sur la haine devraient être refusés et reconnus. C’est même plus une question d’hygiène que de loi », complète celle qui sera présente lors de la conférence.
En tant qu’activiste, Morgane Oger rappelle l’introduction récente de la loi Bill C-16, lancée le 17 mai 2016, qui vise entre autres à protéger l’expression et l’identité des genres au Canada. De son côté, Samir Gandesha s’interroge : « Si l’on réprime l’expression de racisme, de misogynie, d’homophobie et de transphobie, ces préjugés enracinés vont-ils diminuer, ou au contraire augmenter ? » Le discours libre souffrirait ici d’un paradoxe.
L’influence des médias sociaux
Il semble que les médias sociaux décuplent l’impact et l’activité du discours libre. Samir Gandesha explique : « Beaucoup de sociologues, psychologues et psychanalystes ont écrit sur le fait que la participation à des groupes aurait tendance à affaiblir l’inhibition de l’individu, lui faisant faire dans un groupe ce qu’il considérerait lui-même comme impensable autrement. »
Le professeur prend l’exemple d’analystes financiers ordinaires travaillant dans l’investissement bancaire à Londres qui pourraient, lors d’un match de football, un samedi matin, commettre des actes de violence impensables entourés d’autres partisans plus enclins à la violence. « Le média social, de mon point de vue, a un effet similaire dans la mesure où il réduit énormément les inhibitions en créant un effet de masse, comme sur Twitter, et permet souvent l’anonymat. Le détachement à la fonction de l’ego, c’est-à-dire l’assise de la rationalité et la perception de la réalité, peut mener à des expressions extrêmes d’agressivité et de violence », éclaire-t-il. Morgane Oger ponctue en déclarant que les agressions anonymes sur les réseaux numériques « intoxiquent notre société ».
Si beaucoup se battent encore aujourd’hui pour son obtention, la liberté d’expression sert ainsi parfois des discours de haine et de discrimination dans des sociétés où la libre parole, renforcée par l’usage de plateformes déshumanisées, peut banaliser des propos inappropriés.