Se laisser absorber par une histoire, tomber amoureux de ses protagonistes, vibrer au fil des pages, pas de doute : la littérature fait sa rentrée à Vancouver ! Du 15 au 21 octobre sur l’île de Granville, le WritersFest accueillera plus de 100 auteurs, canadiens et du monde entier, venus rencontrer les lecteurs. S’il y en aura pour tous les goûts et tous les âges, un seul auteur francophone sera présent. Une très faible visibilité à l’image de la place accordée à la littérature francophone en Colombie-Britannique.
Vivre de sa plume est toujours un défi autant qu’un besoin pour un auteur. Encore faut-il pouvoir accéder au public. Le marché du livre francophone en milieu anglophone est complexe, freinant parfois l’accessibilité d’une œuvre. Écrivains, traducteurs, éditeurs, libraires, organisateurs d’événements littéraires : tous ont un rôle à jouer.
Une présence très discrète
« Il existe des dizaines d’auteurs en Colombie-Britannique, mais ils ne vendent pas tellement en Colombie-Britannique. Ils vendent au Québec, au Nouveau-Brunswick, en Ontario », explique Frédéric Brisson, directeur général du Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC). Un constat qui se retrouve au WritersFest.
À la tête de la direction artistique de l’événement depuis un an, Leslie Hurtig admet que la présence francophone s’est fortement effilée au cours des ans. Pas suffisamment rentable, le programme du festival consacré à la littérature francophone a disparu en 2015. Le travail de connaissance du marché littéraire francophone, notamment local, n’a pas été poursuivi, se faisant ainsi ressentir sur sa programmation.
Pourtant le besoin est là. « Il faut toujours essayer de prendre sa place en tant qu’auteur francophone et la faire grandir », relève Frédéric Brisson. Et pour cela, il faut que les organisateurs d’événements comme le WritersFest s’engagent. « C’est la condition sine qua non. Pour avoir des invités francophones, il faut des organisateurs qui connaissent le public et les réseaux dans lesquels les auteurs gravitent », ajoute le directeur du REFC.
Si Leslie Hurtig considère que les organismes francophones organisent déjà des événements pendant l’année pour répondre aux demandes du public, elle dit vouloir rétablir des contacts avec ceux-ci et les maisons d’éditions francophones afin d’avoir une programmation de langue française à l’avenir.
En partenariat avec le Consulat général de France, cette édition du WritersFest a aussi joué de malchance. Étienne Farreyre, attaché de coopération et d’action culturelle, indique que « malgré les efforts, aucun auteur français n’a pu placer Vancouver dans son agenda cette année ». Toutefois, le lien n’est pas rompu pour Leslie Hurtig qui aimerait trouver « une nouvelle façon de faire pour que ça fonctionne ». Il faudra voir le degré d’implication du festival l’an prochain.
Un potentiel francophone pourtant bien là
Il existe en Colombie-Britannique quelques maisons d’édition de langue française. Par exemple, le professeur André Lamontagne a lancé cette année les Éditions de l’épaulard, tandis que Louis Anctil, lui, a créé les éditions Rencontres inattendues en 2012. Depuis 2011, ce dernier est également éditeur chez Presses de Bras-d’Apic à Montréal. Il croit au potentiel des auteurs de la région. « Quand on voit l’Islande, un petit pays qui réussit à avoir des auteurs internationaux puissants, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas connaître de telles réussites chez nous », souligne-t-il. Aussi, ce qu’il recherche chez un auteur britanno-colombien, c’est « une histoire ancrée et issue de l’expérience locale ».
Le manque de liens entre les différents maillons de la chaîne de diffusion fait défaut pour faire vivre les œuvres en français. Louis Anctil affirme que l’information manque aux organisateurs du WritersFest. Il faudrait d’après lui pouvoir s’appuyer sur la communauté locale, en travaillant avec les écoles, les bibliothèques et les auteurs.
Laurent Sagalovitsch, écrivain français basé à Vancouver depuis 2009 et travaillant avec des maisons d’édition françaises, déplore ce manque de lien. S’il admet qu’être écrivain en milieu francophone « ajoute de la difficulté à la difficulté », son dernier livre Vera Kaplan n’est toujours pas publié au Canada, alors qu’il a été traduit en italien et en espagnol.
À l’inverse, Éric Dupont, dont le dernier ouvrage La fiancée américaine s’est déjà vendu à 60 000 exemplaires au Québec, commence tout juste à passer la frontière anglophone dans son pays. Mais ses livres ne s’exportent pas. Les frontières restent étanches, notamment pour des questions de droits, de choix et certainement d’audace et d’intérêt de la part des maisons d’édition anglophones.
Traduire pour diffuser
« Je suis éternellement reconnaissant envers mon traducteur qui a insisté pour traduire ce livre », explique Éric Dupont. En effet, la traduction est bien souvent l’étape clef à la diffusion d’un livre francophone au Canada. L’auteur participera au WritersFest dans le cadre de la tournée des cinq écrivains finalistes pour le prix Giller, une reconnaissance nationale décernée le 19 novembre prochain qui récompense depuis 1994 une œuvre de fiction canadienne d’expression anglaise.
Éric Dupont sera donc le 15 octobre aux côtés des quatre autres auteurs pour une discussion en anglais, Between the Pages : An Evening with the Scotiabank Giller Prize Finalists. L’auteur est le premier surpris de l’engouement suscité par son roman de ce côté du pays : « On touche les gens qui s’intéressent à la littérature du Québec et à la littérature tout court, ça m’enlève une étiquette régionaliste et rend le livre plus désirable ».
La traduction permet indéniablement aux lecteurs d’accéder à plus de choix, et donc aussi à un certain point de vue, à une culture. Au Canada, les traductions sont encouragées par des subventions accordées par le Conseil des arts, ou encore le ministère du Patrimoine canadien. Malgré tout, les anglophones sont peu enclins à l’idée de traduire les auteurs francophones canadiens, bien qu’il existe un marché à prendre.
Pour beaucoup, le Canada bénéficie d’une spécificité qu’il ne met pas encore à profit. Car la traduction bâtit des ponts, avec l’idée que « nous avons des histoires en commun à partager, en plus de partager ce même grand territoire », souligne Éric Dupont.
Certes, les canaux de diffusion sont différents pour le livre en français. Un point à travailler pour faire grandir et vivre le territoire littéraire francophone de Colombie-Britannique. À commencer par ouvrir une librairie francophone à Vancouver. Afin que, comme le dit Éric Dupont, « les Canadiens se lisent entre eux ».
Le Vancouver WritersFest du 15 au 21 octobre à Granville Island