Depuis le 17 octobre 2018, date dorénavant historique, ce n’est pas Ô Canada que l’on va devoir chanter avant tout évènement sportif mais plutôt Ô Cannabis. Le cannabis, cette drogue douce qui, nous affirme-t-on, embellit la vie, fait maintenant partie de nos us et coutumes depuis sa légalisation officielle. Il y a de quoi être fiers. Nous sommes, avec l’Uruguay, les pionniers dans cette nouvelle aventure dont on ne sait pas où elle va nous mener.
Doit-on se réjouir ou s’inquiéter de ce pareil revirement de situation ? Il n’y a pas si longtemps de cela, posséder, vendre ou cultiver du cannabis représentait un crime. Combien sont-ils à avoir été condamnés à moisir en prison pour avoir commis cette offense ? Ne devrait-on pas leur rendre justice ? Les temps changent. Heureux sont ceux qui vivent à la bonne époque.
Que sait-on du cannabis et de ses effets ? Les experts sur la question n’arrivent pas à se mettre d’accord. Les avis sont partagés. La loi elle-même demeure ambigüe. Les gouvernements à tous les niveaux ne semblent pas s’entendre sur cette nouvelle législation. La confusion règne. Sommes-nous prêts pour pareil changement ? Qu’est-ce que cette nouvelle loi va changer dans nos vies ? Autant de questions sur lesquelles je me suis penché, déterminé à trouver des réponses.
Pour parvenir à mes fins dans le but évident d’y voir plus clair, je me suis permis de consommer un peu de cannabis, dorénavant dans la plus grande légalité, avec l’espoir que ses effets ne puissent perturber ou altérer mon jugement. Soyez donc prévenus : tout ce qui suit est le résultat d’une cogitation sérieuse placée sous le signe et l’influence du cannabis, une drogue maintenant permise et, essaie-t-on de nous faire croire, à priori sans véritable danger. Comme le prétendent mes voisins, à qui je confiais mon scepticisme, « C’est une drogue qui vous veut du bien » affirment-ils, convaincants. Je suis loin d’être convaincu.
Au cours de ma recherche expérimentale, empreint d’un surréalisme toujours aux aguets, accompagné par Fabienne Thibeault chantant « Le monde est stone », j’ai constaté, sans avoir été particulièrement étonné, l’apparition, de comportements et attitudes pour le moins étranges, souvent désopilants, chez certains individus. En voici la preuve.
Alors que je conduisais tranquillement mon véhicule le long de la rue Broadway à Vancouver, la voiture qui me précédait s’arrêta comme il se doit au feu rouge. Jusque là rien d’anormal. Lorsque le feu passa au vert, personne ne bougea. Quelques automobilistes impatients, j’en faisais partie, klaxonnèrent. Le feu passa au rouge à nouveau puis au vert, sans effet. Le concert des klaxons s’amplifia. Cet exercice dura un bon moment. Je finis par aller demander au chauffeur du véhicule qui me devançait s’il était en panne. Il me dit que non. Il sortit de son véhicule, monta sur le toit de sa voiture et commença, baguette de conducteur en main, à diriger le tintamarre des klaxons. La plupart des automobilistes, retrouvant leur bonne humeur devant ce spectacle hors du commun, l’accommodèrent. Du haut de son perchoir le brave homme me fit comprendre alors que toute sa vie il avait rêvé d’être un jour chef d’orchestre. Grâce au cannabis qu’il venait de consommer, son rêve devenait enfin réalité. Certes ce n’était pas l’Orpheum ou Carnegie Hall mais cela ne le démonta pas. Il était ravi, comblé. Je voulais de l’incongru, j’étais servi. Mais ce n’est pas tout.
Au supermarché du coin j’ai vu des consommateurs jouer aux boules avec des oranges dans les allées du magasin sous l’œil stupéfait du gérant. J’en ai observé d’autres jongler avec des pommes et des poires pour amuser la galerie. Certains ont même organisé un concours de lancement de javelot à l’aide de poireaux sans que cela dérange le moins du monde les caissières et les caissiers abasourdis. De quoi vous laisser rêveur.
Pour couronner le tout et regagner un peu de sérénité je me suis rendu dans une église où le prêtre, sans doute déconcerté par le passage de la nouvelle loi, demanda à une ouaille confessée de réciter deux « Paters » et trois « Ave mariejuana ». Dans la synagogue d’à côté, le rabbin agité insistait « mais si, mais si, il est là » alors que l’iman du quartier voisin affirmait non sans crainte « Dieu est petit vu d’ici ». Je voulais me confier à un moine bouddhiste mais ultimement celui-ci décida, après un moment de méditation, de me bouder.
Finalement, à défaut de trouver des réponses aux questions qu’au préalable je m’étais posées, je suis sorti perplexe de cette brève expérience. Que de péripéties vécues en peu de temps. Cela promet. À partir de ce jour mémorable (17/10/18) la vie, qu’on se le dise, ne sera plus jamais la même. Qui osera s’en plaindre ?