Les voyages forment la jeunesse nous répète-t-on sans cesse. Permettez-moi d’en douter. J’ai en effet pris un sacré coup de vieux lors de ma dernière escapade au pays de mes ancêtres.
Je m’étais pourtant bien préparé avant mon départ. J’avais tout prévu sauf l’imprévu. Mais, comme chacun le sait, il est difficile d’échapper à la loi de Murphy dont le principe nous rappelle que tout ce qui est susceptible d’aller mal ira mal. Je peux donc maintenant confirmer en toute connaissance de cause qu’il y a du vrai dans cet adage. Voici mon histoire à dormir debout tel que je tiens à la révéler au risque de me faire passer pour un sot.
En attendant le taxi qui devait m’amener à l’aéroport j’eus comme un mauvais pressentiment. Je constatais avec effroi que les roulettes de ma grande valise étaient cassées. Impossible de les changer. Trop tard pour les réparer. Tant pis, me suis-je dit, navré, j’utiliserai la poignée. Cette dernière lâcha lorsque le chauffeur de taxi voulut la prendre pour la mettre dans le coffre de son véhicule. C’est à bout de bras que je devrai dorénavant transporter ce bagage. L’idée ne m’enchanta guère. Mais, j’étais bien obligé de faire avec.
Arrivé à l’aéroport tant bien que mal je parvins au guichet où la préposée aux billets m’annonça que mon siège, longtemps réservé en avance, n’était plus disponible car une erreur s’était glissée dans leur système informatique et l’avait assigné à quelqu’un d’autre. Je pestai et fis valoir mon mécontentement. Bien que désolée par la tournure des évènements elle me fit comprendre qu’elle n’y pouvait rien et finit par me donner le dernier siège disponible tout au fond du couloir dans la dernière rangée près des toilettes. À contrecœur et furieux je finis par accepter. Inutile de se mettre en colère quand les dieux sont contre vous. Il faut savoir faire avec.
À l’allure où ça allait, en passant par la sécurité avant d’embarquer dans l’avion, je ne fus pas étonné d’entendre l’alarme sonner lorsque vint mon tour de passer au crible par le portique de sécurité. On me fit enlever ma ceinture. Ayant suivi une sérieuse cure d’amaigrissement, depuis bientôt deux mois, j’avais de la difficulté à retenir mes jeans. Ces derniers tombèrent à mes chevilles lorsque l’agent de sécurité me demanda de lever les bras pour mieux me fouiller.
Mes pantalons relevés, gêné et honteux, je finis par regagner ma place dans la carlingue de l’avion. Sur mon passage, les témoins de ma détresse à la sécurité ricanaient. Cela m’a profondément dérangé. Bon gré mal gré, il a fallu que je fasse avec.
Je vous épargne quelques autres menus détails plus navrants les uns que les autres. Bref, heureusement, l’avion décolla sans pépin. Vint le moment de se rassasier. La distribution des plateaux de nourriture sembla durer une éternité. Placé tout dernier, ce fut enfin mon tour d’être servi. L’agent de bord me fit comprendre que je n’avais pas le choix; il ne restait, après la distribution générale, plus qu’un plat de poulet aux pâtes. Je fis la moue, haussai les épaules et, comble de malheur, alors que je m’apprêtais à manger ce frugal mets, je constatai, à mon grand désarroi, que si les pâtes étaient bien là, le poulet manquait à l’appel. J’appelai l’hôtesse qui, toute confuse, me fit part de sa surprise mais avoua ne rien pouvoir faire face à ma déconfiture. Furibond, je finis par manger mes pâtes tout en marmonnant des jurons incompréhensibles entre mes dents. Je commençais à en avoir assez de faire avec.
Pendant tout le voyage, dois-je ajouter, j’étais assis à côté d’une jeune maman qui tentait en vain de donner du lait à son bébé. Celui-ci braillait comme un veau, ne voulant pas du biberon, préférant le sein plutôt qu’une tétine. Qui peut le blâmer ? Après un moment d’accalmie, voulant se dégourdir les jambes, la brave mère me confia un instant son bambin. Une fois dans mes bras il dégurgita sur ma chemise tout le lait non maternel qu’il avait ingurgité. Je me rendis aux toilettes pour me nettoyer et faire d’une pierre deux coups. À peine confortablement assis sur le siège du bol de toilette, de sérieuses turbulences agitèrent la cabine. Le commandant de bord nous somma de regagner nos places immédiatement. Un vent de panique m’envahit. Une fois de plus je me retrouvais les culottes à terre. Le pantalon à peine relevé je regagnai, presque en rampant, mon siège.
C’est à ce moment précis qu’une voix douce et agréable me fit reprendre mes esprits. C’était celle d’une charmante hôtesse qui, me voyant agité, avait choisi de me réveiller. Je venais de vivre un cauchemar. Nous allions atterrir sous peu. Je devais attacher ma ceinture. Il pleut à Paris me dit-elle d’un ton navré. Ça va, je peux faire avec.