Vivre dans un autre pays n’est jamais chose aisée. Avant mon voyage au Canada, je pensais pourtant pouvoir vivre n’importe où sans commettre une maladresse culturelle majeure. Je m’étais fortement trompée…
La première fois que je me suis rendue compte que je n’étais pas tout à fait en phase avec la culture canadienne, c’était en faisant mes courses dans un supermarché.
Fraîchement débarquée de France, je me précipite dans les rayons, et décide en premier d’acheter du pain. Seulement voilà, en bonne française, quand j’achète du pain, je ne me contente pas de le prendre et de le jeter dédaigneusement dans mon panier.
Non. Le pain c’est le blé, la terre. Le pain ça se respecte. Il convient de le choisir scrupuleusement. Je commence par en prendre un. Je l’examine attentivement. Je le tâte un peu pour voir s’il croustille. Non. Pas celui-là ; il ne croustille pas assez.
Et puis le pain, je ne l’aime pas trop cuit. Alors j’en prends un autre, et un autre, et je commence à tâter frénétiquement tout le rayon, quand je suis interrompue par un regard réprobateur. C’est le regard du vigile qui me fixe d’un air perplexe et étonné. Vraisemblablement, il hésite entre fouiller mon sac et appeler le 911.
Je m’arrête et le considère un instant. Puis je reprends de plus belle, car je n’aime pas être interrompue en de pareilles circonstances. Je jette néanmoins un petit coup d’œil furtif pour voir si les camisoles sont arrivées. Rien. Non. Le champ est libre, déserté par un vigile manifestement effrayé. Je n’aurais pas prêté une grande attention à ce petit incident, s’il n’avait pas été suivi d’un autre qui, je l’avoue, m’a fortement énervée.
En fait, j’ai bien failli être incarcérée. Il est heureux que nous vivions au 21ème siècle, sinon je pense que les affres de l’écartèlement et de la pendaison ne m’auraient pas épargnée.
Je suis à Granville et je me dirige vers le quai pour prendre le Skytrain. Quand soudain, j’entends le train arriver. Il est là. Il arrive. Je cours, et parviens à atteindre le quai quand la sonnerie annonçant la fermeture des portes retentit. D’un geste instinctif, je bloque les portes et entre violemment dans la rame.
Je le fais par réflexe. Je n’y ai même pas pensé. C’est vrai qu’en France tout le monde le fait, si bien que ça ne choque plus personne.
A peine remise de mes émotions, je relève la tête. Et là, horreur, des dizaines de regards réprobateurs se posent sur moi comme si j’avais commis l’infamie la plus suprême.
Je me dis que ça va passer, et décide d’attendre debout – parce qu’évidemment dans ce genre de situation il n’y a jamais de place assise – l’air absent, en espérant que ça va passer.
Malheureusement, « ça » ne passe pas. Les regards sont toujours sur moi, et j’ai l’impression qu’ils disent : « Abattez-la ! Abattez-la ! ».
Stupéfaite par la tournure des évènements, je me mets à préparer une défense dans ma tête. « Monsieur le Juge, Mesdames et Messieurs les jurés, je vous prie de bien vouloir excuser mon crime – car apparemment c’est bien de cela qu’il s’agit – et tiens à vous présenter pour ma défense des circonstances atténuantes qui, j’espère, attireront votre attention.
Voyez-vous, je viens d’une contrée lointaine, et plus précisément d’une région sauvage communément appelée « Ile-de-France » par les autochtones, où les individus luttent chaque jour jusqu’à la mort pour pouvoir s’asseoir dans le RER B. Alors oui, Mesdames et Messieurs, j’ai fauté. Le geste est grave, mais je vous prie de croire qu’il n’est pas délibéré. Aussi, je vous demande grâce, et vous supplie de ne pas m’écarteler ».
Finalement, rouge de honte et visiblement à court d’arguments, je descends du Skytrain à la station suivante, en essayant de dissimuler mes traits de fugitive au monde entier.