L’été est là. Les vacances aussi. Bien que je ne les mérite pas, j’y ai droit. J’en profite. Tout comme le journal, jusqu’au 27 août, je prends congé. Qui dit congé suggère voyage. Face à cette possibilité, j’hésite. Les voyages ne m’ont pas toujours réussi.
Voici, pour le prouver, le récit authentique d’un de mes voyages à dormir debout qui restera à tout jamais gravé dans ma mémoire.
Été 1992. Pas de plan précis pour les vacances si ce n’est de faire quelques randonnées dans les environs de Vancouver et, surtout, de se la couler douce sur les plages, le temps le permettant.
Nous avons suivi ce programme pendant quelques jours. Un beau matin, alors qu’en famille nous prenions le petit déjeuner, un de mes deux jeunes fils fit savoir qu’il aimerait bien, un jour, voir les montagnes Rocheuses. Ma femme et moi nous sommes regardés quelque peu ébahis puis, soudainement enthousiasmés, avons en gros conclu : « Pourquoi tergiverser ? Battons le fer pendant qu’il est chaud. Rocheuses, puisque tu ne peux venir à nous, allons à toi ». Aussi tôt dit, aussitôt fait. Nous sommes ainsi partis tôt le lendemain matin, heureux, ravis de cette décision prise à brûle-pourpoint. L’idée de faire plus de 1 000 kms de route à l’époque ne me faisait pas peur. Aujourd’hui j’y penserais à deux fois plutôt qu’une.
Hop, nous voilà sur la route. Un temps magnifique pour nous accompagner. Des conditions idéales. Aucun incident sérieux à signaler chemin faisant. Quelques arrêts pipi de-ci de-là pour se soulager. Des pauses café par-ci par-là pour se ravitailler. Tout allait à merveille. La joie, la bonne humeur régnaient alors que nous avalions les kilomètres.
À l’approche des montagnes Rocheuses, la nuit, progressivement, commença à tomber. Je pris conscience qu’il était temps de chercher un hôtel avant de poursuivre notre odyssée. Ai-je besoin de préciser que, vu la précipitation de notre départ, nous n’avions pas estimé nécessaire de faire des réservations.
À ce moment précis, au pied des Rocheuses, au crépuscule, notre voyage tourna au vinaigre. J’allai frapper à la porte de tous les hôtels que nous rencontrions en chemin. Aucun ne pouvait nous accommoder. Les chambres étaient toutes déjà occupées, réservées d’avance par des touristes plus avertis que nous. L’aventure tournait en mésaventure.
Nous avons poursuivi notre route et, en dépit de tous nos efforts, nous sommes arrivés bredouilles, peu avant minuit, à Lake Louise, Alberta. La conduite m’avait épuisé. J’étais prêt à payer n’importe quel prix pour avoir droit à un abri. Là encore, toutes les chambres d’hôtel étaient réservées. Même les terrains de camping à cette heure-ci n’avaient plus de place disponible. Résignés, nous nous sommes garés dans un stationnement à ciel ouvert en face d’un restaurant du coin. Nous tombions de sommeil. La fatigue avait raison de nous. Nous décidâmes (pas si simple ce passé) de passer la nuit dans notre véhicule. C’était sans compter sur la chaleur et l’air irrespirable à l’intérieur de la voiture. Nous dûmes (compliqué ce passé simple) ouvrir les fenêtres. Ce que nous fîmes (voilà, c’est passé). Les moustiques avaient sans doute attendu ce moment précis pour se ruer sur nous. Ils nous ont dévorés.
La décision fut prise de changer de stationnement. Nous nous sommes garés sur celui de l’hôtel du Château Lake Louise réservé aux touristes. Il était presque 2 h du matin. Je ne dormais toujours pas. Ma femme non plus. Les enfants pas vraiment. Il y avait des toilettes publiques à proximité. Un de mes fils voulut y aller. Je l’ai accompagné. Heureusement. J’ai dû l’attraper par la peau des fesses avant qu’il ne marche sur un porc-épic tranquillement installé devant la porte des W.C. pour homme. Sachez, en confidence, au cas où vous vous poseriez la question, que nous sommes allés dans les toilettes des dames à la place.
Le temps ensuite passa. Très lentement. Trop lentement. Personne ne dormit. La mauvaise humeur avait pris le dessus. Finalement à l’aube, épuisés, mourant de fatigue, écoeurés par cette épopée, nous prîmes (encore un passé simple en prime) la décision de rentrer immédiatement à Vancouver. Je vous épargnerai les détails du voyage de retour que nous avons accompli d’une seule traite tellement nous tenions à retrouver nos lits le plus rapidement possible. J’ai conduit comme un fou. Ma femme m’aspergeait continuellement d’eau pour me tenir éveillé. Expérience dangereuse, pas recommandable, à éviter à tout prix.
Parlant de prix : ne pas avoir passé de vacances dans les Rocheuses nous a permis de faire des économies. Avec ces économies, le lendemain de notre retour, pour récompenser nos enfants d’avoir courageusement passé au travers d’une si dure épreuve, nous avons, à leur demande, acheté un chien qu’ils ont décidé d’appeler, vous l’aurez deviné : Rocky. Ah ! Ne me parlez plus des Rocheuses.