Lorsque Peter MacKay, l’ancien ministre du gouvernement Harper, s’est soudainement senti obligé de présenter sa candidature à la chefferie du Parti conservateur du Canada, une question existentielle, dans le discours politique fédéral, a refait surface : est-il nécessaire de parler français si l’on désire accéder au poste de chef de parti dans l’espoir de devenir ultimement premier ministre du Canada ? À cela je réponds catégoriquement : oui, un chef doit être capable de communiquer dans les deux langues. Pas besoin d’atteindre la perfection (pensez à Jean Chrétien) mais un minimum s’impose.
Malheureusement pour lui, monsieur MacKay ne possède pas ce prérequis. Sa connaissance du français, souvent qualifiée de lamentable, ne franchit pas la barre. Ne pas oublier qu’il fut député et membre du gouvernement à Ottawa pendant 18 ans au moins. Il avait amplement le temps d’apprendre. Face à son sérieux handicap linguistique, il s’est depuis, timidement, surtout tardivement, mis au français. Chassez l’arriviste, il revient au galop. À se demander pourquoi ce politicien de la Nouvelle-Écosse n’a pas cru bon d’apprendre le français plus tôt ? Par dédain ? Par paresse ? Par mépris ? Par négligence ? Par je-m’en-foutisme ? De toute évidence, quelle que soit la réponse, monsieur MacKay n’est pas à la hauteur de ses ambitions. Le Sieur veut péter plus haut que son culot.
Qu’on le sache une bonne fois pour toute : l’époque où il était possible de devenir premier ministre sans savoir parler français est révolue. Je ne veux pas être mauvaise langue Monsieur MacKay, mais savez-vous qui était le dernier leader conservateur à ne pas parler la langue de Molière ou de Michel Tremblay ? Oui, je sais, vous avez la réponse sur le bout de la langue. Vous donnez votre langue au chat ?… Robert Stanfield, lui aussi de la Nouvelle-Écosse, qui démissionna de son poste en 1979 suite à trois échecs électoraux successifs face à Pierre Elliott Trudeau qui, lui, maîtrisait parfaitement les deux langues en oubliant parfois de tourner l’une d’entre elles sept fois dans sa bouche avant de parler. C’est vous dire. Vos chances de devenir premier ministre sont, j’ose m’avancer, fortement compromises.
Il existe encore des gens qui estiment que posséder le français n’est pas essentiel pour devenir premier ministre. L’électorat anglophone, majoritaire au Canada, peut, si bon lui semble, choisir le candidat qui lui convient quand bien même celui-ci ne parlerait pas français. Il suffit de gagner l’Ontario et les provinces de l’Ouest, en faisant fi du Québec, argumentent-ils, pour l’emporter. Monsieur MacKay doit miser là-dessus. Je ne suis pas convaincu du bien-fondé de ce raisonnement.
Le débat est donc lancé. Je laisse à ceux qui ne partagent pas mon avis le soin de défendre leur cause. Pour ma part, je me contenterai de présenter mon plaidoyer en faveur du bilinguisme de nos politiciens fédéraux en vantant avec passion et ardeur les mérites de ma langue maternelle avec laquelle je jouis d’un rapport ludique que certains m’envient. Monsieur MacKay, ce qui suit représente un témoignage personnel de ce que vous auriez gagné en apprenant le français si vous vous en étiez donné la peine.
N’ayant pas ma langue dans ma poche, j’aborde sans le saborder le sujet de plein fouet car je ne sais pas comment tenir ma langue. La langue française est si belle qu’il m’est impossible de ne pas lui faire la cour. Je la sors partout. Je la présente à tout le monde. Elle m’accompagne au restaurant, dans les soirées dansantes, s’occupe de faire les présentations, m’aide au cours de mes rencontres, séduit mon entourage, me solidifie dans mes disputes, m’appuie lors d’arguments sérieux et surtout, je lui en suis reconnaissant, me permet d’exercer mon charme. Je ne peux demander mieux.
Elle s’avère une compagne indispensable et me chaperonne avec grâce dans mon intimité. Au fil des mots, lettre après lettre, elle s’allonge languissante sur la page blanche de mes récits. Parfois, peu pudique, elle se met à nu sans retenue après que j’eusse bu un verre de vin de trop. Puis, part au galop devançant ma pensée. Difficile de la brider dans son ardeur. C’est plus fort qu’elle. Folle de liberté, enivrée, elle s’emporte et n’en fait qu’à sa guise. Je la laisse aller.
Prise soudain dans son élan, la voilà maintenant qui s’offusque face à son ennemi juré : la langue de bois. Cette langue qui lui échappe et dont elle se sent peu fière quand certains acteurs de la scène politique en abusent ou l’utilisent à mauvais escient. Alors elle se fâche et exige qu’on la laisse tranquille. Par respect pour elle j’obtempère. Mais que fait-elle ? Regardez monsieur MacKay, pour l’avoir trop longtemps négligée, maintenant elle vous tire la langue.