Opération portes ouvertes. Depuis mardi dernier, 19 mai, nous sommes passés à la phase 2 du déconfinement. Ce tantinet de liberté qui nous est enfin accordé suffit pour le moment à faire mon bonheur. Ma joie, certes, n’est pas totale mais cette petite ouverture à laquelle nous sommes conviés suffit à soulager ce sentiment profond de spleen qui pesait sur mon psychisme depuis bientôt trois mois.
Un début semble-t-il. C’est peu mais c’est déjà pas mal. Je prends ce que l’on m’offre et je ne vais pas mordre la main qui me libère ni cracher au visage de ceux qui me veulent du bien. Loin de là. Étant pour le moment passé au travers (je croise les doigts), tout en sachant très bien qu’il y a encore pas mal de chemin à faire avant d’aborder les phases suivantes, il n’est pas question pour moi de faire preuve d’ingratitude. Dr. Bonnie Henry, Monsieur Adrian Dix et Monsieur John Horgan, en prenant en considération vos efforts fournis et en fonction de ce que l’on perçoit ailleurs, vous méritez bien nos remerciements pour avoir su, jusqu’à présent, minimiser les dégâts.
Profitant ainsi de ce moment de liberté surveillée consenti j’ai cru bon d’exploiter la situation. Ainsi, je n’ai éprouvé aucune réticence à répondre « oui » lorsque des amis m’ont invité à venir jouer au tennis. Comment refuser pareille offre ? Pour retrouver des partenaires et un sport que j’affectionne je suis prêt à surmonter n’importe quel obstacle.
Nous nous sommes donc retrouvés sur un terrain de tennis tout près de chez moi. Ce fut le temps des retrouvailles. Situation bizarre, sentiment étrange : pas d’accolades ni de poignées de main. Des conversations à deux mètres de distance. Après l’échange de quelques courtoisies habituelles et autres banalités familières nous sommes passés à de petites plaisanteries du genre : « Nous, au Canada, on nous demande de maintenir une distance sociale de deux mètres. En France, en Italie, un mètre suffit. Qu’est-ce qu’ils ont ces Européens ? On leur a coupé le souffle ? Ils postillonnent moins loin ? » Ou encore :
« Donald Trump affirme qu’il prend de l’hydroxychloroquine pour se protéger du virus. Tant qu’à faire pourquoi n’absorbe-t-il pas du Lysol ? ». Vous voyez le genre de rapport qui lie notre groupe. Pas de quoi être fier.
Puis ensemble nous avons révisé les nouvelles conditions requises mais non obligatoires pour jouer en double, ce qui n’est pas si simple lorsqu’il s’agit de maintenir la distance sociale prescrite. Certains portaient des gants. D’autres, dont je faisais partie, n’en voyaient point l’utilité. Aucun de nous ne portait de masque. Un produit aseptisant, toutefois se trouvait à la portée de la main au cas d’une incartade involontaire au règlement. Audacieux quelque peu, prudents, certainement. Un petit vent de liberté, tout juste acquis, venait de souffler sur notre tennis.
Ensuite, il a fallu jouer. On était venu pour ça. Certains étaient moins rouillés que d’autres. J’avoue ne pas avoir fait beaucoup d’exercice depuis le début du confinement. Mon niveau de jeu s’en est ressenti. Beaucoup de balles perdues et de services manqués. Par contre, après chaque arrêt de jeu, nos bavardages reprenaient de plus belle, près du filet, tout en maintenant nos distances. Nos discussions ont subséquemment tourné autour du degré de responsabilité de la Chine et de l’organisation mondiale de la santé envers cette débâcle sanitaire par laquelle nous passions. Cela nous a laissés dubitatifs et même pantois. Puis, histoire de se changer les idées, nous avons abordé la question de la reprise du football professionnel en Allemagne sans spectateurs. Peu d’enthousiasme perçu de ce côté-là. Nous avons profité de ce répit pour nous désaltérer. Il était temps de passer à la deuxième manche (second set).
Nouveaux échanges, nouvelles frustrations de ma part. Une balle de perdue, aucune de retrouvée. Nouvel entracte, nouvelles remarques près du filet. J’en profite pour faire valoir à ceux qui s’intéressaient à la question que déconfinement ne faisait pas partie des 150 nouveaux mots accueillis dans la nouvelle édition du
Petit Larousse. Surprise pour mes collègues. « Impossible », s’est écrié l’un d’entre eux. « Il faudra attendre 2022, j’imagine », a suggéré un autre, ébahi. « Par contre, ai-je ajouté, euphorique, on y retrouve remontada », un mot dont je bénis l’intronisation corps et âme (si j’en possède une). Comme vous pouvez le constater : beaucoup de parlotte et peu d’action. Balle de match. C’est gagné.
En promettant de nous retrouver sous peu, nous nous sommes séparés en prenant soin auparavant de nous toucher du bout de nos raquettes respectives en guise de poignée de mains, histoire de donner du fil à retordre au COVID-19, l’envoyé plénipotentiaire du diable. La balle est dans notre camp, servons-lui un as.