De toute évidence, John Horgan, notre premier ministre de la Colombie-Britannique, a choisi de m’ignorer en négligeant de bien vouloir prendre mon opinion en considération. Il a préféré brosser du revers de la main mes conseils et suggestions qui, selon moi, j’essaie d’être objectif, méritaient un meilleur traitement. Petit rappel :
dans ma dernière rubrique, parue il y a quinze jours de cela, je lui conseillais, en lui présentant les raisons de ma position, de ne pas déclencher des élections provinciales avant le terme prévu d’octobre 2021. Mais voilà, monsieur m’a fait un pied de nez. Il s’est moqué de moi et m’a boudé. Il n’en a fait qu’à sa tête, se payant la mienne au passage.
À ses yeux, ne m’ayant jamais rencontré, n’ayant jamais entendu parler de moi, je ne mérite pas son attention. Il continue d’agir comme si je n’existais pas, comme si mon avis n’avait aucune importance. Depuis le déclenchement des élections, à aucun moment il n’a cherché à me contacter pour me consulter. Il doit me prendre pour un vert ou un ver. Vexant vous ne trouvez pas ? Comment ? Vous pensez que j’exagère, que ma sensibilité est démesurée, qu’elle me rend fragile, paranoïaque, que j’ai tendance à en remettre. Bon je veux bien mais un peu de pitié à mon égard ne me ferait pas de mal.
De vous à moi, pour ne rien vous cacher, je dois vous dire que depuis l’annonce de la tenue des élections le 24 octobre qui s’en vient, je n’en mène pas large. J’ai honte de mon plaidoyer en faveur de la date prévue pour ensuite être désavoué, bafoué par le premier ministre. Je suis embarrassé au plus haut point, à tel point qu’il m’est difficile de marcher aujourd’hui, dans la rue, la tête haute. Je crains de croiser les regards de tous ces gens qui, par inadvertance, auraient lu mon article dans La Source. Je rase les murs en m’assurant de ne pas être repéré. Je ne sais plus où me mettre. Du haut de mon mètre soixante-dix je me fais tout petit.
J’aimerais me fondre dans la masse et me rendre à la messe incognito. Je me camoufle sous des habits les plus saugrenus en espérant me faire passer pour un personnage en partance pour l’Halloween, fête tenue une semaine après les élections. Dépendant des résultats je déciderai alors quel costume porter.
J’aurais tant aimé entamer un dialogue avec John Horgan. À coup de dictons bien placés, notre échange imaginaire pourrait se présenter ainsi : « Pourquoi prendre ce risque, monsieur le premier ministre ? », « Parce que, qui ne risque rien n’a rien », « Oui, mais, rappelez-vous : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras »,
« On ne fait pas des omelettes sans casser des œufs et il faut battre le fer pendant qu’il est chaud ». Ce à quoi je répondrais « Il n’est de sûr que ce qu’on tient ». Agacé par ma remarque, la rétorque de John Horgan ne se ferait pas attendre « Mauvais conseil retombe sur celui qui le donne ». Pas du tout intimidé, du tac au tac, je répliquerais : « Il est bon d’être habile, mais non de le paraître ». Devrait alors venir l’estocade de la part du leader gouvernemental : « Qui parle beaucoup doit dire des sottises ». Après m’être fait clouer le bec et désireux de ne pas envenimer la situation, je tirerais ma révérence en sachant très bien qu’« une petite étincelle engendre grand feu ». Quand il y a un malentendu, les malentendants ne tiennent pas à participer à un dialogue de sourds. Autant passer à autre chose.
L’automne est bien mal parti. Je regarde les feuilles mortes tomber comme des feuilles mortes et se faire ramasser à la pelle mécanique des employés de la ville qui n’ont cure de mon état d’âme. Si je suis triste de ne pas avoir été écouté par le premier ministre provincial je le suis encore davantage par le manque d’intérêt de cette campagne électorale dû, en partie, à la pandémie, certes, mais surtout à une opposition bien faible. Les verts ne sont pas prêts et les libéraux sont menés par un chef peu inspirant. Les sondages favorisent pour l’instant les néo-démocrates. Il est donc fort possible qu’ils obtiennent cette fois-ci la majorité désirée et qu’au fond le peu de risques pris en valait la chandelle. Le premier ministre, toutefois, n’arrivera pas à me convaincre du bien-fondé de sa décision. Histoire d’exorciser mon mécontentement envers la tenue prématurée de ces élections, une dernière petite vacherie de ma part me vient en tête : « À vaincre sans péril, monsieur Horgan,
on triomphe sans gloire ». Et vlan, passe-moi l’éponge.