La première fois que je me suis sentie Canadienne, c’était en mars dernier.
En 2015, j’ai atterri en Ontario alors que j’étais sur le point d’avoir seize ans, après avoir laissé ma langue maternelle et mes villes préférées (en Égypte), ainsi que mes amis les plus proches et les années les plus formatrices (aux Émirats arabes unis). Je suis devenue Canadienne à l’âge de 21 ans, en assistant à la cérémonie avec mon frère et mon père, et en équilibrant le fait de vouloir retourner à ma vie antérieure contre vouloir que mon père célèbre le résultat de tout son travail acharné et de ses sacrifices. Je regrettais de ne pas pouvoir devenir Canadienne en même temps que ma mère.
Avec toute mon angoisse d’adolescente associée à diverses villes de la région du Grand Toronto, je savais que si j’avais le choix, je n’allais pas passer plus de temps en Ontario que ce qui était exigé de moi. Alors, je suis partie pour l’université à Montréal.
Je n’y trouvai pas ma place non plus. J’ai passé quatre ans à Montréal, et quand je pense à cette époque, j’entends des rires, je ressens de la douleur dans mes pieds à cause d’une nuit de danse, et je pense à la façon dont mes amitiés m’ont sauvée à maintes reprises. Mais après avoir obtenu mon diplôme, je savais que je ne pourrais pas rester plus longtemps – mon français approximatif ne m’a pas permis de m’intégrer dans la société québécoise et m’a empêchée de me sentir chez moi dans ma nouvelle province.
En 2019…aussi loin que ma mémoire me le permettait, j’avais chassé le sentiment d’appartenir à un lieu et de le porter le coeur sur la main pour que tout le monde le voie. Toujours à la recherche de ce sentiment, et maintenant en quête de l’excitation que je ressentais à la fois due et promise après avoir obtenu mon diplôme universitaire, je me suis retrouvée à Madrid, la grande métropole espagnole.
Je n’ai pas emporté de photos de mes amis ou de ma famille, je n’ai emporté aucun vestige de mes anciennes demeures au Canada. J’ai pris ce dont j’avais besoin et je suis partie, convaincue que c’était la dernière fois que je verrais le Canada. C’était l’aventure européenne dont je rêvais, la récompense pour avoir réussi mes études universitaires, ma nouvelle demeure. Une fois là-bas, j’ai travaillé dur pour me convaincre que Madrid était maintenant ma place.
En 2020…au début du mois de mars, ma mère m’a appelée pour me faire savoir que Justin Trudeau avait fait une déclaration exhortant tous les Canadiens à l’étranger à rentrer chez eux en raison de la pandémie.
J’ai ressenti une perte : je n’ai pas pu réaliser mon plan de quitter le Canada et de ne jamais regarder en arrière. Je suis retournée en Ontario à contrecœur.
Je ressentais une perte, mais quand ma mère m’a parlé de la déclaration de Trudeau, c’était aussi la première fois que je me sentais comme si j’avais un port d’attache, comme s’il y avait un endroit où je pouvais retourner. Sachant que je ne pourrais pas voyager à nouveau pendant un certain temps, je me sentais plus
Canadienne retournant au pays que lorsque je suis partie. Je me sentais coupable de ne pas avoir embrassé le Canada alors qu’il m’a si facilement acceptée de nouveau.
À Madrid, je m’étais retrouvée dans la même situation qu’à Montréal. Mon français inadéquat a été remplacé par un espagnol inadéquat, mais cette fois sans mon filet de sécurité de noms de rues familiers, des appartements de tous mes amis à quelques pas du mien. J’ai appris pour ce qui me semblait la première fois comment être à l’aise avec moi-même et comment compter sur moi-même. Je sais que c’est grâce à cette expérience que j’ai pu déménager seule à Vancouver pendant une pandémie mondiale, sans emploi ni appartement et, étonnamment, avec un minimum d’anxiété.
Je me suis sentie coincée à mon arrivée, mais ce n’est plus le cas. Je ne me sens pas complètement Canadienne, et je ne veux pas l’être – j’ai eu une identité pendant seize ans avant de venir ici. Mais être capable d’embrasser rétroactivement ce côté canadien de moi me donne l’impression que je peux aussi faire la même chose pour tous mes autres côtés.
Traduction par Barry Brisebois