Mon premier souvenir de Vancouver : les boules de chewing-gum

Boules de chewing-gum géantes

Boules de chewing-gum géantes - Photo par Chelsea Nesvig, Flickr

L’éruption du Pinatubo en 1991 a défrayé la chronique ; elle est restée dans les annales comme la deuxième plus importante éruption volcanique du 20ème siècle et a fait, de mon futur au Canada, une réalité permanente. Emportées par une coulée de lave, ma sœur et moi avons atterri à Vancouver. Bon d’accord, on a pris l’avion !

 Je ne me souviens pas beaucoup de ce voyage. Ma sœur m’assure que j’ai vomi sur elle. Heureusement pour moi, je ne me souviens pas de ça.

Non, ce n’est pas le vol qui me reste le plus en mémoire. Ni le premier souvenir conscient que j’ai de mes retrouvailles avec mes parents. Ce sont les boules de chewing-gum.

Le premier arrêt que nous avons fait, après que mes parents nous ont récupérées à l’aéroport, était au supermarché.

Bien que les Philippines soient maintenant développées sur le plan commercial avec des mégas centres commerciaux tentaculaires, y compris le troisième plus grand d’Asie, faire ses courses dans un grand supermarché reste inhabituel. Les gens font leurs achats dans des petits commerces familiaux et des marchés extérieurs qui vendent de tout, de la nourriture vivante à celle en boîte.

Donc aller au supermarché, avec ses sols carrelés, son personnel et ses caissières en uniforme, ses multiples rangées de choix de nourriture, c’était une étrange expérience. Une allée entière dédiée aux céréales ! Ce concept me semble un peu absurde, même aujourd’hui.

C’était bizarre d’entendre les bruits de ce supermarché. Bizarre, parce qu’en fait, c’était plutôt relativement calme. A l’exception de messages sporadiques diffusés par bribes dans les haut-parleurs, disant qu’une lessive Tide était offerte pour une deuxième achetée, ou qu’il y avait 10 pour cent de réduction sur les lecteurs VHS pendant une semaine seulement, les gens allaient faire leurs courses poliment sans engager la conversation avec autrui, revoyant probablement mentalement leurs listes de courses en silence. Rien à voir bien sûr avec les marchés extérieurs des Philippines où l’ail et la viande sont suspendus à des crochets pendus au plafond, où les vendeurs se hurlent des bonjours les uns aux autres et où les clients pratiquent le marchandage intensif.

Et où sont passés les odeurs et les arômes ? Comment est-ce possible de se trouver dans une pièce gigantesque remplie de nourriture et que l’on ne sente rien ? Ce que je trouve normal et pratique à présent me semblait à ce moment-là, tellement… aseptisé. Et ce n’est pas un mot que j’aime associer à la nourriture.

Mon père m’amenait aux machines de boules de chewing-gum quand on passait en caisse. C’est peut-être à cause de la taille impressionnante du magasin et de son bourdonnement  inquiétant, que je trouvais ce petit coin confortable. Dans ma mémoire, il ne s’agissait pas d’une machine de chewing-gum ordinaire. C’était la mère de toutes les machines à chewing-gum, c’était une machine à chewing-gum sensationnelle : porteuse de gourmandises à ne pas mettre entre toutes les mains, celle qui fournit des perles aux couleurs chatoyantes, le comble de la rondeur, des bonnes choses si douces à mâcher. Mon père y  mettait vingt-cinq cents, me montrant comment tourner la poignée et alors elle sortait : une boule de chewing-gum d’un rouge brillant.

Bien sûr, il s’agit de la version Hollywood de ma mémoire. J’avais cinq ans, pour l’amour de Dieu ! Par ailleurs, on fait beaucoup de choses pour l’amour de Dieu. Pourquoi ne pas en faire pour l’amour de Sam pour changer ?

Mais j’ai bien réfléchi dernièrement à cette histoire de boules de chewing-gum. C’est un peu chimérique et peut-être juste un dérapage des neurones et un enchevêtrement des synapses soulignant en fait un parallèle, car je pense que ces boules de chewing-gum présageaient de nombreux aspects de ma vie et également de la vie à Vancouver.

La métaphore la plus facile serait de dire que toutes les différentes couleurs représentent la diversité des gens de Vancouver. Non seulement la diversité de couleurs mais aussi la diversité de croyances spirituelles, de choix de modes de vie et d’idéologies.

A un autre niveau, cela représente l’élément de surprise. Après avoir tourné la poignée et entendu les vingt-cinq cents cliqueter, il est trop tard pour faire marche arrière. Vous ne pouvez être sûr de ce que vous allez obtenir. Et bien que ce ne soit véritablement que du saccharose, du glucose ou du fructose, au bout du compte, il y a quand même toujours une différence entre une explosion de myrtilles et une brisure de fraises. Il en est de même pour la vie à Vancouver. Quelquefois il neige à mi-chemin entre le printemps et l’été, d’autres fois la ville devient impraticable avec 2,50 cm de neige ; quelquefois on a des révoltes, d’autres fois on campe devant la Galerie d’Art pendant cinq semaines, et quelquefois on élit même un gouvernement conservateur majoritaire ! Tout peut arriver.

Pour moi, plus que toute autre chose, cette boule de chewing-gum était mon premier goût sucré d’aventure. Même à cinq ans, je savais qu’un changement était en train de se produire et que c’était le début d’un nouveau départ.

Ou peut-être, vingt ans plus tard, je projette trop de pensées et de philosophie sur un bonbon. C’est peut-être ça.

Quoi qu’il en soit, comme le front de mer de Stanley Park, les choses ont tendance à faire une boucle qui se répète. Je me retrouve à nouveau avec un pied ici et un pied dehors. Seulement cette fois, je n’arrive pas, je pars, et il se passera presque une année entière avant que je ne retrouve cette ville.

Les gens disent que les voyages aident à se trouver. Je ne peux pas dire si je suis d’accord ou non. Mais, en linguistique et en termes simples et clairs, dire que vous vous trouverez signifie que VOUS VOUS CHERCHEZ. Et si vous vous cherchez quand vous partez en voyage, alors où diable étiez-vous pendant tout ce temps ?

 Moi ? J’étais à Vancouver.

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