L’image : un plan panoramique d’une forêt. Dans la tendre lumière matinale, des oiseaux lancent leurs cris. Tout à coup, le bruit d’une scie à chaîne brise la sérénité du moment. C’est ainsi que commence la bande annonce du documentaire Wood, un film militant visant à exposer l’exploitation forestière illégale qui consomme aujourd’hui une bonne partie des forêts dans le monde.
Composé en grande partie d’images capturées clandestinement, le film est le résultat du travail de trois réalisatrices engagées, Monica Lăzurean-Gorgan, Michaela Kirst, et Ebba Sinzinger, en collaboration avec l’Environmental Investigation Agency (EIA). Le documentaire, sorti en 2020, sera montré dans le cadre du festival vancouvérois KDocsFilmFestival (KDocsFF), qui aura lieu en ligne du 12 au 21 mars.
Un modèle unique de lutte environnementale
Selon INTERPOL, l’organisation internationale de police criminelle, « l’industrie illégale du bois représente jusqu’à 90 % de la déforestation tropicale dans certains pays et attire les plus importants groupes criminels organisés au monde ». C’est un fait confirmé par l’EIA, l’organisation non gouvernementale au cœur du documentaire. Leur recherche montre que l’exploitation forestière illégale est le quatrième commerce illégal
au monde.
Fondée en 1984 et basée à Londres et à Washington, D.C., l’EIA utilise des méthodes qu’on n’associe pas d’habitude avec le travail des ONG. Ces méthodes comprennent souvent de la recherche, mais aussi des enquêtes d’infiltration d’activités criminelles pour obtenir des preuves et exposer des crimes environnementaux. Wood suit Alexander von Bismarck, directeur de l’EIA, dans des enquêtes en Russie, en Roumanie, en Chine, aux États-Unis et au Pérou.
Armé de caméras cachées et de déguisements, Alexander von Bismarck va à la recherche d’évidence de l’exploitation forestière illégale dans ces endroits et ainsi aide à illuminer le long chemin que le bois illégal peut parcourir d’une forêt en Roumanie à un magasin à l’autre bout du monde.
Réaliser un film où les images qu’il capture sont censées être invisibles a été un travail d’une énorme difficulté. Conscientes de la complexité qu’un tel documentaire pourrait entraîner, les réalisatrices ont décidé de collaborer dans le film, chacune apportant une motivation et une vision personnelle à l’histoire.
Pour Michaela Kirst, qui avait déjà fait un court métrage sur Alexander von Bismarck dans le passé, c’était le désir de faire connaître le travail de l’EIA par un plus grand public. Pour Monica Lăzurean-Gorgan, c’était le fait de voir le village de ses grands-parents dévasté par la coupe illégale du bois, un problème qui est répandu partout en Roumanie. Pour Ebba Sinzinger, c’était un travail de justice sociale.
Le cinéma comme militantisme
Créer des changements et avoir un impact réel était, enfin, le fil conducteur pour ces trois réalisatrices. Tel que l’explique Michaela Kirst, c’était l’efficacité de l’approche d’EIA qui l’a vraiment motivée à faire le film « Ce qu’ils font en fait, c’est qu’ils vont sur le terrain. Par exemple, dans le commerce du bois, ils trouvent toutes les preuves de l’exploitation forestière illégale à toutes les étapes, de la production jusqu’au moment où vous trouvez le bois dans les magasins. Je pense que c’est très important parce que cela nous implique en tant que consommateurs, car c’est nous qui achetons ces produits », partage-t-elle.
La modification en 2008 de la Loi Lacey aux États-Unis (une loi interdisant le trafic d’espèces sauvages illégales, y compris le bois) a été informée en partie par le travail fait par l’EIA dans l’industrie forestière.
Et même si le film n’est pas encore sorti dans les salles de cinéma – la pandémie a freiné les négociations de distribution – le documentaire a déjà eu des impacts importants, surtout en Roumanie. « Avec le nouveau documentaire, nous avons déjà accompli pas mal de choses », annonce Ebba Sinzinger. « Dans le cadre du tournage, nous avons provoqué la démarche d’Alexander von Bismarck de se rendre en Roumanie parce que nous voulions qu’il y aille, qu’il regarde la situation, et qu’il soutienne les ONG locales qui avaient besoin d’un appui international ».
Le travail de l’EIA et d’Alexander von Bismarck en Roumanie a eu pour résultat de grandes manifestations contre la coupe illégale du bois partout dans le pays. Il a aussi abouti à ce que trois grandes entreprises reçoivent d’énormes amendes de plusieurs millions de dollars.
Mais après tout ce travail, il reste encore un danger : l’exploitation de la forêt en tant que symbole politique. D’après Monica Lăzurean-Gorgan, on remarque déjà cette tendance en Roumanie.
« Nous utiliserons toujours la forêt. Nous l’utiliserons non seulement comme une ressource concrète, mais nous l’utiliserons également dans nos discours et dans notre propagande », maintient-elle. « Maintenant, en Roumanie, les partis nationalistes et les gens de la droite extrême et tout le monde scandent « ma forêt, ma forêt » mais ils ne font pas grand-chose pour la forêt. C’est fou comment nous utilisons cette forêt d’une manière égoïste », ajoute-elle.
Au-delà des vrais impacts sur le terrain, les réalisatrices espèrent aussi sensibiliser le public à ce crime environnemental et aussi peut-être l’inspirer à s’engager dans la création des solutions : « Nous espérons vraiment qu’ils seront plus conscients de la dynamique derrière nos produits en bois, de ce qui se passe dans les coulisses, et qu’ils achètent de manière plus responsable », déclare Monica Lăzurean-Gorgan.
Pour sa part, Michaela Kirst aimerait que le documentaire rappelle aux gens « que le combat est possible, que les gens peuvent changer les choses. C’est difficile et cela demande des efforts, et cela peut être dangereux, mais vous ne devez pas abandonner, il existe des moyens intelligents de faire ce travail ».
Pour en apprendre plus sur Wood, visitez www.wood.film. Pour acheter des billets pour le festival KDocsFF, veuillez visiter www.kdocsff.com