Au cours de notre isolement social collectif causé par la pandémie, j’ai remarqué qu’il est parfois beaucoup plus facile pour les gens de valider les luttes et les facteurs de stress des autres avant de reconnaître les leurs. J’ai observé comment la COVID-19 peut intensifier les situations de vie très difficiles de mes amis à la maison, mettre à rude épreuve des relations vieilles de plusieurs années et même entraver le développement de nouvelles amitiés ou d’occasions d’emploi. Quant à ceux qui travaillent, j’entends des histoires d’épuisement causé par les réunions Zoom, combien il est difficile de travailler à la maison et de vivre une « vie productive normale » avec les conséquences émotionnelles que l’isolement social nous impose.
Et pourtant, même si j’entends si souvent mes amis raconter les difficultés de leur vie quotidienne, amplifiées par cette pandémie, du même souffle ils laisseront échapper ou feront allusion à un sentiment de culpabilité pour tout simplement avoir exprimé leurs griefs. Depuis le mois d’avril, que ce soit un ami qui travaille, tout en étant aux prises avec la dépression, ou un récent diplômé pour qui il aurait été si important de franchir l’étape de la remise des diplômes, j’ai vu des amis déplorer que, bien que leur situation soit mauvaise, elle « pourrait être bien pire », ou que « la situation d’autres personnes est pire que la leur ».
Il est difficile de savoir s’il s’agit d’un phénomène social plus large ou si cet échantillon d’amis proches s’adonne à partager ce trait en particulier. Ceux à qui je parle ne semblent pouvoir percevoir leur lutte qu’en termes relatifs, plutôt qu’en termes absolus, c’est-à-dire que cette pandémie est une chose difficile à gérer pour tout être humain.
À certains égards, la pensée relative peut être une bonne chose et est particulièrement encouragée lorsqu’il s’agit de parler des différentes luttes de divers groupes de personnes. Cela nous permet de nous décentrer un instant et de reconnaître les systèmes d’oppression qui reproduisent l’injustice et l’inégalité dans notre société selon la race, le sexe, la sexualité, le handicap, la classe et plus encore. Cela nous permet de voir la réalité inconfortable mais importante que certains groupes de personnes font face à des luttes uniques et plus sérieuses que d’autres groupes, et que ces luttes surviennent pour eux en raison de rien de plus qu’une catégorie d’identité sociale non choisie.
Je ne pense pas que voir les choses à travers cette lentille soit inconciliable avec la compréhension de ses propres luttes. Par contre je peux dire qu’il est décourageant de voir que certains de mes amis qui font souvent preuve de peu de courtoisie et de compréhension envers leur propre sort, semblent au contraire être souvent les plus empathiques et les plus compréhensifs des problèmes des autres, qu’ils soient induits par une pandémie ou liés aux inégalités.
En effet, même dans mon cas, j’avoue avoir du mal à prendre au sérieux mes propres luttes amplifiées de cette pandémie. Et, étant donné à quel point ce manque d’empathie autodirigée est décourageant, cela m’a amené à me demander quelle source d’espoir nous pourrions être en mesure de trouver en nous attaquant à tout cela, et si nous pourrions réussir à étendre ce même niveau d’empathie à nous-mêmes.
Bref, je pense qu’il serait peut-être préférable, du moins pour le moment, de s’appuyer simplement sur d’autres personnes pour obtenir du soutien, plutôt que d’essayer de développer un sentiment d’empathie personnelle. Cela peut sembler étrange, mais jusqu’à la fin de cette pandémie, je pense qu’il est normal de valider et de soutenir les autres au cours de leurs luttes et leur stress, et de simplement permettre à nos amis de faire de même pour nous. Je sais qu’à long terme, il est important de développer un sentiment d’empathie et d’amour-propre, je ne suis en aucun cas un défaitiste à cet égard. Mais je trouve qu’il est peu charitable, sinon paradoxal, de simplement conseiller aux gens de trouver cela en eux-mêmes et d’arriver à le faire durant une période aussi difficile et tumultueuse. C’est un objectif important, mais difficile à atteindre pour le moment. Donc pour l’instant, peut-être qu’un raccourci de ce genre peut nous faire du bien. D’ailleurs, si le problème est l’isolement social, pourquoi devrions-nous essayer de le combattre seuls ?
Traduction par Barry Brisebois