Jacques Baillaut : un héros de la francophonie du Pacifique

Jacques Baillaut – figure francophone de la Colombie-Britannique – s’est éteint l’été dernier. Afin de lui rendre hommage, sa femme Jeanne Baillaut a publié Propos en l’air du Gondolier du Ciel et autres récits, un recueil regroupant plusieurs de ses textes. Découverte de l’ouvrage comme du personnage, et du nouveau volet à paraître.

Idéaliste lucide, blagueur sensible, poète terre-à-terre, Jacques Baillaut était un homme à la personnalité complexe. Derrière son caractère jovial, il cachait un œil aiguisé, parfois sombre, qu’il portait sur la société de son époque.

Après son décès l’été dernier, sa femme décide d’immortaliser ses réflexions dans un recueil qui reprend ses chroniques Propos en l’air du Gondolier du Ciel publiées entre 1968 et 1971 dans Le Soleil de Colombie – ancien journal vancouvérois francophone dont il fut le rédacteur en chef.

Jacques Baillaut. | Photo de Jeanne Baillaut

On y retrouve également divers textes comme un émouvant poème rédigé suite à son emprisonnement en Allemagne, une audacieuse lettre d’embauche destinée à Radio Canada ou encore son fameux discours pour « la mairie » de la Seizième.

De déporté en Allemagne à Radio Canada

Si les Vancouvérois s’en souviennent comme le rédacteur en chef du Soleil ou « Monsieur Radio-Canada », peu connaissent la vie hors-norme de Jacques Baillaut. En suivant les photos d’époque qui parsèment l’ouvrage, sa femme raconte son histoire.

« Je voulais montrer comment il a fait son chemin dans la vie en se recyclant continuellement pour être finalement arrivé à la station de Radio-Canada à Vancouver », explique-t-elle.

Jacques Baillaut a seulement dix-huit ans lorsqu’il est fait prisonnier en Allemagne. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il part travailler comme soudeur sur des bases américaines au Maroc, puis rentre en France cinq ans plus tard. Ne s’identifiant plus à son sol natal, il décide de s’envoler vers la terra incognita.

C’est à Vancouver qu’il reconnaîtra enfin son chez-lui.

« Je crois que le Canada était fait pour Jacques. Je le revois devant notre maison, les bras grands ouverts face aux montagnes, et il disait “Voilà. Ça, c’est le Canada : l’espace” », se souvient son épouse.

Lorsqu’il n’était pas affairé à écrire pour Le Soleil ou Radio Canada, il jouait avec la Troupe Molière de Vancouver, ce qui lui valut d’ailleurs le prix du meilleur acteur de la Colombie-Britannique en 1963. Gondolier pendant quelques années, il conduisit également le téléphérique pour le Mont Grouse – inspirant ainsi le nom de ses chroniques.

Vers un idéal

Dans ses écrits, Jacques Baillaut faisait preuve d’un grand esprit d’analyse. À coup de métaphore et de satire, il pointe du doigt l’anonymisation des entreprises, le régime de la guerre froide, l’américanisation de la société canadienne et autres enjeux de l’époque, dont certains résonnent encore aujourd’hui.

S’il n’y va pas de main morte, il s’efforce toujours de trouver une solution aux problèmes qu’il soulève.

« Jacques ne se serait jamais permis de critiquer s’il n’avait rien à offrir », ajoute Jeanne Baillaut.

C’est en effet à une société plus juste qu’aspirait l’écrivain; un monde où les mots « égalité et fraternité » auraient un véritable sens. Et il n’avait pas peur de se battre pour ses valeurs, comme en témoigne son licenciement au Mont Grouse, suite à sa réclamation d’un meilleur traitement des employés.

Le français comptait parmi les causes qu’il défendait corps et âme. Il rêvait à un Canada où la langue de Molière aurait été parlée en tout lieu. Que ce soit en tentant de maintenir le seul journal francophone de la province ou en luttant pour la survie du Théâtre Métro qui proposait des spectacles en français, Jacques Baillaut se battit pour cet idéal. La France reconnut ses efforts et lui décerna la médaille de l’Ordre national du mérite.

« Ses Isabelles »

Jeanne Baillaut ne s’arrête pas là dans l’hommage à son mari. Elle prépare un prochain volet qui regroupera les chroniques de son époux écrites en prose poétique, qu’elle surnomme « ses Isabelles ».

« Jacques était tombé amoureux du mont Garibaldi, et dans ses proses, il avait transformé ce bout de montagne en un personnage qu’il appelait Isabelle », livre sa femme.

Chaque matin, l’écrivain se levait à l’aurore pour rédiger, en à peine une demi-heure, « une Isabelle » qui était ensuite lue par Serge Arsenault, ancien annonceur à Radio Canada. Le défi était de jouer avec les métaphores en y incluant des éléments de l’actualité.

« Jacques devait donner la météo et glisser les événements dont Radio Canada avait envie de parler. Si la Reine venait visiter, il fallait qu’Isabelle en parle », raconte son épouse.

L’écrivain ne manquait pas non plus de faire un clin d’œil à sa douce.

« J’étais sa muse. Et ça tous les gars de Radio Canada me l’ont dit », confie-t-elle.

Parce que l’amour de Jacques Baillaut, en dehors de l’écriture et du théâtre, c’était avant tout sa femme Jeanne.

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