Le vieil âge

Photo par 30daysreplay Germany

Si on peut vivre jusqu’à 150 ans, à quel âge devient-on vieux ?

Un article du Vancouver Sun, paru récemment, a attiré mon attention sur cette question et m’a donné matière à réflexion. Selon cette coupure du journal, l’âge maximum, l’âge limite qu’un être humain pourrait possiblement atteindre serait 150 ans si l’on en croit une étude basée sur une recherche approfondie, nous fait-on savoir. Pas question donc, même si vous en rêvez, de penser à vivre éternellement. Après tout, il y a une limite à tout. Ainsi, si vous êtes milliardaire et que vous songiez vous acheter l’éternité, revoyez vos calculs car ils sont faux. Votre argent ne vous mènera nulle part et ne peut vous payer une vie sans fin. Le paradis terrestre ne vous est pas promis, ni acquis. Vous n’emporterez pas votre argent au jardin d’Éden où aucune banque, à ma connaissance, n’a songé s’installer. Les taux d’intérêts ne représentant aucun intérêt.

Non, ce qui m’intéresse particulièrement dans cette étude, ce qui a soulevé ma curiosité, ce qui l’a titillée, ce qui m’a interpellé, ainsi que d’autres « ce qui » sans quoi je ne peux écrire ceci, ce sont toutes les questions que je me pose au sujet du vieillissement. Et surtout l’idée que je m’en fais. En apprenti philosophe qui ne se fait aucune illusion sur le manque de profondeur de ma réflexion, j’envisage de pousser à la limite de l’absurde, comme l’auraient fait les dadaïstes du début du XXe siècle, ma pensée sur le sujet.

Ai-je vraiment envie de vivre jusqu’à 150 ans ? Dans l’état où je me trouve actuellement, avec tous mes bobos, mes malaises et mes contrariétés (car vieillir c’est surtout avoir mal de partout), mes chances d’arriver à cet âge sont quasiment nulles et je ne devrais donc pas me faire de tracas quant à l’éventualité d’atteindre cet âge optimal. Ceci, toutefois, ne m’empêche pas de contempler cette possibilité et d’y réfléchir comme je suis en train de le faire maintenant. Voyons. Pour commencer si j’arrivais à cet âge très avancé, dit terminal, je m’en voudrais de ne pas être en mesure de me rappeler les noms de tous mes arrière-arrière-arrière-petits-enfants, ce qui risquerait de les fâcher lors de repas de famille. Je n’y tiens pas. Déjà que les trous de mémoire chez moi sont de plus en plus fréquents, je ne vois pas comment ma situation pourrait s’améliorer. Mes lointains descendants, fâchés d’avoir dilapidé leur héritage en vivant si longtemps, m’ignoreraient et questionneraient ma présence en leurs lieux. Je ne veux pas voir ma progéniture me jeter en pâture dans la nature.

De plus, avec mon régime de retraite, si ma vie perdure jusqu’à cet âge ultime, je risque de ruiner l’État et d’être un fardeau pour les contribuables. Si nous sommes nombreux à arriver à la trois-fois-cinquantaine, la dette nationale mènera le pays à la ruine à moins que les jeunes générations futures soient prêtes à faire un sacrifice exceptionnel, à savoir : travailler au-delà de soixante-dix heures par semaine afin de permettre au pays de joindre les deux bouts. En aucune façon je n’oserais accepter cette possibilité. Plutôt mourir que de vivre aussi vieux. Après consultation avec mon médecin généraliste je me suis fait dire que très certainement je descendrai à la prochaine station et non au terminus. Rien à craindre donc. Je ne serai pas l’oiseau de malheur des futures générations.

Par ailleurs, arrivé à cet âge suprême, ma libido depuis longtemps disparue, qu’aurais-je à gagner de vivre aussi longtemps ? Il est vrai que si la tendance se poursuit, comme on dit à la soirée des élections, avec les progrès de la science qu’il ne faut pas négliger, il serait possible d’envisager la découverte d’une espèce de super Viagra ultrapuissant qui pourrait venir à notre secours et nous donner, même illusoirement, une raison de vivre aussi vieux. Je n’y crois pas trop. Dommage. C’était tentant.

Ceci remet à l’ordre du jour la question que je me pose depuis le début, à savoir : comment vieillir en toute beauté si nous devons atteindre l’âge fatidique de 150 ans ? Comment ne pas devenir vieux en vieillissant car vieillir ne veut pas dire être vieux ? Victor Hugo a écrit « il faut que jeunesse se passe et que vieillesse se casse ». J’ai envie de lui répondre : « Victor, casse-toi, espèce de misérable : il faut que vieillesse se fasse et non se casse ». Si l’on doit vivre jusqu’à 150 ans on a tout le temps de voir venir l’avenir. Pour que j’atteigne 150 ans il faudrait redoubler les années que je viens de vivre. Rien que d’y penser, un sentiment de fatigue me gagne. Cent trente-cinq, je veux bien mais 150, non, c’est trop.