C’est un don aussi peu habituel que précieux qu’a reçu la Société historique francophone de Colombie-Britannique (SHFCB) au mois d’août dernier. L’historienne Jean Barman, également professeure émérite à l’Université de Colombie-Britannique (UBC), a en effet offert 1 400 ouvrages de sa collection privée, ainsi que quinze caisses d’archives et de documents en tous genres qu’elle a consultés pour publier plusieurs ouvrages, et qui sont venus enrichir les collections de la SHFCB.
« C’est un don d’une grande générosité », se réjouit Maurice Guibord, directeur général de la SHFCB. « Nous connaissons Jean Barman depuis de nombreuses années, et nous sommes devenus proches. Comme elle apprécie notre travail, elle a décidé de nous soutenir en nous offrant ces collections »
Une vie plongée dans l’histoire de l’Ouest canadien
Jean Barman a beaucoup étudié l’Ouest canadien, et en particulier les populations de ces territoires, puis de ces provinces. « On l’ignore souvent aujourd’hui, mais lorsque les Européens sont arrivés sur ce qui allait devenir la Colombie-Britannique, beaucoup d’entre eux étaient francophones. Ils sont arrivés pour faire la traite des fourrures, en particulier des castors qui étaient très appréciés pour fabriquer des chapeaux », nous explique l’historienne. « Par la suite, beaucoup de francophones se sont installés sur place et ont pris femmes dans la population autochtone locale. Les anglophones possédaient les entreprises (fourrures, scieries…) et les francophones fournissaient la main-d’œuvre. »
Au cours de sa longue carrière, Jean Barman a écrit plus de 27 ouvrages sur la population de l’Ouest canadien, dont trois sont spécifiquement consacrés aux différentes communautés francophones, et beaucoup d’autres aux communautés autochtones. Elle a d’ailleurs été récompensée en 2015 par le prix d’Histoire du gouverneur général pour la recherche savante pour son ouvrage French Canadians, Furs and Indigenous Women in the Making of the Pacific Northwest.
L’historienne a d’ailleurs beaucoup à dire sur les autres aspects de la présence francophone de l’époque « Là où venaient les francophones, venaient aussi les prêtres catholiques. Ils arrivaient ici non seulement pour s’occuper des âmes mais aussi pour convertir les habitants de ces terres. Par la suite ils devaient ouvrir plusieurs écoles, dont des écoles pour filles, mais ce sont eux aussi qui ont ouvert les fameux pensionnats autochtones à la demande du gouvernement fédéral ». Concernant la présence francophone, elle ajoute : « Pour les Canadiens français de l’époque, les frontières ne voulaient pas dire grand-chose. Ils allaient là où il y avait du travail et des affaires à brasser. Ils ne venaient pas forcément avec l’intention de rester mais beaucoup se sont installés ». Jean Barman s’est également beaucoup intéressée aux femmes autochtones dans l’histoire du Pacifique nord-ouest. « Elles ont été beaucoup moins visibles et mentionnées que les femmes blanches en C.-B. ». Femmes autochtones et francophones de la province, même combat ? C’est en tout cas un des axes de recherche majeurs de l’œuvre de l’historienne qui déplore par ailleurs le fait que « beaucoup de personnes ont oublié qu’ils descendent directement de francophones ».
Et Maurice Guibord d’ajouter : « Elle est une des très rares personnes à pouvoir vous décrire avec précision le peuplement de la Colombie-Britannique. Elle a étudié énormément de groupes différents, des Kanakas hawaïens qui se sont installés dans la province à Portuguese Joe dont la statue est à Stanley Park ». Et de poursuivre, « j’ai hâte de me plonger dans ces archives » qui contiennent entre autres des articles de journaux centenaires, des listes de recensement établissant le portrait fidèle de la population de l’époque ainsi que de nombreux autres documents inédits.
Un don en appelle un autre !
Le don de Mme Barman a d’ailleurs eu un effet boule de neige puisque la SHFCB a également reçu des livres et des archives d’un autre historien qui a beaucoup travaillé sur les francophones de l’ouest canadien : Bruce Watson. C’est lui qui a établi par ses travaux (Lives Lived West of the Divide : A Biographical Dictionary of Fur Traders Working West of the Rockies, 1793–1858) qu’avant la ruée vers l’or de 1858, près de 60% de la population européenne de l’ouest canadien était… francophone.
Toutes ces informations ne trouveraient guère d’écho si elles n’étaient relayées par la SHFCB et même si sa mission première reste avant tout de conserver la mémoire de tout ce qui concerne les francophones de la province, cela ne l’empêche pas de préparer activement son avenir. Ainsi la société a entamé le processus pour être reconnue comme une organisation charitable, ce qui permettra à ceux qui désirent faire des dons pour la soutenir d’en déduire une partie de leurs impôts et de contribuer à la préservation de ce patrimoine unique.