À l’occasion de La Journée internationale des pronoms déroulée le 20 octobre dernier, La Source a voulu explorer le langage inclusif selon l’analyse de Martin Bouchard (Comité FrancoQueer de l’Ouest) et Jorge Calderon (Université de Simon Fraser).
Depuis ces dernières années, le langage inclusif (ou non-binaire) a été au cœur des revendications des communautés 2LGBTQ+. Qu’il soit oral ou écrit, celui-ci renvoie à une reconnaissance, par le biais du langage, de l’identité de genre des personnes non-binaires, c’est-à-dire qui ne se considèrent ni homme ni femme. Cette utilisation linguistique cherche également à reconnaître l’identité des personnes transgenres qui s’identifient à un autre sexe que celui assigné à leur naissance.
Vers une évolution du langage
Pour Jorge Calderon, professeur au département de français de l’Université Simon Fraser, les langues ne sont jamais neutres. Elles traduisent toujours une conception particulière du monde. Selon lui, la langue de Molière serait ainsi non seulement porteuse d’une idéologie patriarcale et sexiste – comme en témoigne la prédominance de l’accord au masculin – mais aussi d’un binarisme de genre, héritage de la pensée binaire de Descartes. « Une langue ce n’est pas seulement ce qu’elle nous permet de dire, mais c’est aussi ce qu’elle nous force à dire. Si on a seulement un pronom masculin et féminin, la langue nous oblige à entrer dans une logique binaire du genre », explique le professeur.
Il souligne ainsi la pertinence de regarder vers d’autres cultures, comme celles autochtones canadiennes qui admettent une pluralité de genre, et vers d’autres langues qui sont peu, voire pas genrées. « On peut avoir toute une conversation en mandarin sur une personne et n’avoir aucune idée du sexe de celle-ci, parce qu’il n’y a pas de pronoms masculins ou féminins », illustre-t-il. Pour le professeur, il est donc temps de se réapproprier la langue française et de la faire évoluer vers une version non-binaire pour rendre compte de la « diversité des expériences, des identités, des manières de s’identifier, mais aussi de performer son identité dans l’espace public ».
Une question de justice sociale
Martin Bouchard, coordinateur de l’association Comité FrancoQueer de l’Ouest, note la détresse des personnes non-binaires et transgenres face à un langage qui leur fait défaut. « Ce n’est jamais plaisant de se faire “mé-genrer”. Ça peut être lourd à porter de devoir toujours corriger les gens par rapport au pronom auquel on s’identifie. Je sais que le taux de suicide est très élevé chez les personnes non-binaires [et transgenres] », explique-t-il. Un sondage mené par The Trevor Project aux États-Unis (2020) montre d’ailleurs que les tentatives de suicide sont deux fois moins probables chez les jeunes non-binaires et transgenres dont les pronoms sont respectés, par opposition aux jeunes qui se font « mé-genrer ».
Pour Jorge Calderon, le langage inclusif est une question d’éthique et de justice sociale. « C’est un rapport de respect envers l’autre. Je reconnais que l’autre existe, qu’il est vrai. Je reconnais sa vie, son identité. C’est comme dire : “Oui, je te vois, je t’écoute, j’essaie de te comprendre” », explique-t-il. En plus d’une reconnaissance, le professeur voit le langage inclusif comme un outil d’empowerment, puisqu’il donne le pouvoir aux personnes non-binaires et transgenres de « se dire elles-mêmes, avec des pronoms qui leur correspondent ».
Casse-tête français
Si l’anglais offre des possibilités relativement simples pour parler de manière inclusive, les règles grammaticales du français compliquent les choses. Martin Bouchard en donne un exemple éclairant. Alors qu’une simple phrase comme « Ils ont aimé le chanteur », apparaît extrêmement genrée en français, elle n’admet aucun genre spécifique dans la langue de Shakespeare (They loved the singer),
Si depuis un certain temps, les communautés 2LGBTQ+ francophones proposent « iel » comme alternative neutre à « il » et « elle », ce néo-pronom est encore loin de rentrer dans la norme. Il faut également noter l’apparition d’autres pronoms personnels, comme « ille », « ol », « ul » et bien d’autres. Selon Martin Bouchard, le manque de ligne directrice est problématique. « Comme il n’y a pas de consensus par rapport à l’écriture inclusive, ça revient à chacun de nous et à chacune de nos organisations de faire ces choix. Mais ceux-ci sont difficiles à imposer parce qu’il n’y a pas de livre sur la grammaire inclusive », explique-t-il avant d’exprimer sa déception face à l’Académie française qui refuse de se porter garante du langage non-binaire.
Malgré tout, Martin Bouchard soutient qu’il est bel et bien possible de parler et écrire inclusivement, avec comme maître-mot : patience, efforts et surtout sensibilité. Au lieu de genrer les noms communs comme les participants/participantes, il propose par exemple de dire « les personnes qui participent ». Il invite aussi à faire preuve de créativité pour éviter de genrer les professions – les infirmières devenant ainsi le corps infirmier. Il finit par souligner, qu’en ce qui concerne l’usage des pronoms, il ne faut jamais assumer le genre d’une personne. « La meilleure option, c’est de lui demander comme elle veut être interpellée », conclut-il.
Pour plus de renseignements consultez :
www2.gov.bc.ca/assets/gov/careers/all-employees/working-with-others/words-matter.pdf