L’évènement incontournable de la mi-hiver à Vancouver, le festival international du spectacle vivant PuSh, est de retour du 20 janvier au 6 février. Avec une programmation cette année mettant l’accent sur les artistes du pays, échange avec la chorégraphe canadienne décrite par l’industrie comme une “art-iviste fortement engagée socialement”, Mélanie Demers, qui présente sous sa compagnie Mayday “La Goddam Voie lactée”, une création qui casse les codes de la danse contemporaine.
Nombre de créations culturelles présentées ces derniers mois et probablement dans les mois à venir sont nées ou sont liées à un contexte pandémique lourd. Il en va de même pour “La Goddam Voie lactée”, quoique l’élément déclencheur soit pour le moins incongru pour un spectacle de danse contemporaine. Il est né d’un bœuf musical à distance entre chanteuses débutantes à l’occasion d’un Zoom pour combattre l’impact social des restrictions sanitaires.
Chercher à comprendre et donner un sens
“Rien ne me sépare de la merde qui nous entoure”. Cette citation de Virginie Despente découverte par hasard par la chorégraphe a saisi cette dernière et a quelque peu marqué le début du cheminement vers ce qui est aujourd’hui La Goddam Voie lactée: “J’ai trouvé ça tellement fort et puissant. Je trouvais ça tellement beau parce qu’elle ne s’exclut pas de la merde qui l’entoure (et) de dire qu’on partage tous le bordel dans lequel on est”.
Dans “Cette merde qui nous entoure”, la chorégraphe voyait une référence à l’état du monde mais faisait aussi écho à un contexte particulier. “On a créé La Goddam Voie lactée en pleine pandémie, un peu à la suite d’une deuxième ou d’une troisième vague de dénonciation Me Too à Montréal, en plein soulèvement de Black Lives Matter, donc il y avait beaucoup de tensions sociales. C’était très chargé collectivement et politiquement”, se souvient-elle.
Et ce contexte qu’elle considère malgré tout global, elle a choisi de le retranscrire non pas avec une pièce sur les femmes, tient-elle à préciser, mais plutôt “par le truchement d’un filtre féminin en plongeant dans le psychisme féminin”. C’est pourquoi aucun homme n’a fait partie de l’équipe, ce qui n’est pas commun à la lecture de son CV.
“Une création et un processus très guérisseurs”
“Nous ne sommes rien d’autre que des promesses en cinérama. Fake tears, nous sommes poupées pathétiques. Dying robots. Et sublimes machines. Therefore, nous sommes inachevées, unfinished and as yet, untitled.” Ce slam édicté par l’une des interprètes permet une mise en contexte précise et rapide.
La situation de haute-fréquence, comme elle le dit, et de grands troubles, reflétés dans ce passage et omniprésents dans le spectacle, tranchent pourtant, comme elle le concède, avec le processus créatif qu’elle a vécu “de manière très douce”. “Le spectacle est dynamique, violent parfois”, partage la chorégraphe, marquant une pause avant d’ajouter: ‘Il a été créé dans l’amour” dit-elle en appuyant sur le mot amour.
C’est en décembre 2020, déroutée par l’interdiction des contacts humains, élément pourtant essentiel pour beaucoup d’artistes de la scène, que Mélanie Demers a commencé à prendre des cours de chant en ligne avec la chanteuse Frannie Holder. “Et c’est comme ça qu’on a commencé le processus de création”, raconte-t-elle simplement. “Au lieu d’avoir un unisson des corps, on a créé un unisson des voix. Et puis on a développé un discours à partir de la voix.” Elle retrace également avoir voulu “mettre des performeuses dans une espèce d’art total”. Ainsi une place importante est donnée à la voix et à la musique dans ce spectacle de danse contemporaine. Il s’ouvre au son de guitares électriques jouées par les quatre danseuses et au son de la voix de Frannie Holder qui performe quant à elle tout au long, ce qui fait que ce caractère hybride, aux accents de concert de rock, souffle sur les codes du genre et ajoute peut-être un refrain au catalogue du genre. En réponse à la question du choix d’un titre mêlant le français et l’anglais, ce qui peut finir par troubler, elle souligne que “La danse est universelle parce qu’elle ne parle pas, mais ma danse parle.”
En plus de la musique comme partie prenante de l’histoire, les tenues se voient également confier un rôle. Des salopettes à taille unique de type uniforme, puis du rose, des paillettes, un style hip-hop très saillant : les tenues des danseuses matérialisent le déroulé de la pièce. Alors qu’elles commencent en tenues englobantes unisexe, à mesure que l’histoire avance, “elles se révèlent, se dévoilent, se dénudent, révèlent leurs personnalités propres et découvrent leur unicité”, confie la chorégraphe. Elle ajoute avoir voulu présenter la féminité non pas comme “un bloc monolithique mais des voix plurielles, des voix dissonantes même parfois. J’avais envie de la féminité non pas comme d’un symbole mais de voix multiples.”
Ces voix multiples, c’est un caractère essentiel pour Mélanie Demers qui, en revenant sur le processus créatif, affirme que pour elle, “50 pour cent du travail est fait lorsqu’(elle) réunit l’équipe.” Si c’est bien elle qui porte l’idée, qui l’imagine, elle précise que “la création devient excitante quand on réalise des choses qu’on n’aurait pas imaginées.” Et de continuer : “Quand je me laisse surprendre, distraire, quand j’orchestre les accidents, quand je déterre les mystères, c’est vraiment ça la chorégraphie.” Et de conclure, un sourire dans la voix : “Mon art n’existe qu’en passant par le cœur, le corps et l’âme de quelqu’un d’autre.”
La raison d’être de La Goddam Voie lactée se veut donc être une observation à la fois de chaque être mais aussi holistique à l’échelle de la planète et “cet extra-monde”. Laissez-vous emporter, rendez-vous au PuSh Festival, du 26 janvier au 6 février dans plusieurs salles du Grand Vancouver.