Le printemps est là. J’avais hâte qu’il arrive pour me changer les idées. J’ai besoin d’évasion. La vue des chars et des bombardements russes; des villes en ruine; des gens qui souffrent; des gens qui pleurent; des gens qui fuient; des corps que l’on jette dans des fosses communes; des enfants blessés; d’un Poutine narquois, insensible; d’un Zelensky en tenue de combat implorant l’Occident d’agir, de venir en aide à l’Ukraine qui, ville après ville, tombe aux mains de l’armée russe; de la solidarité à l’invasion d’un trop grand nombre de chefs d’états despotes, ennemis de la liberté et des droits de la personne; de la menace d’une troisième guerre mondiale qui pourrait être nucléaire, oui, la vue de tout cela me donne des frissons. Je ne supporte plus. J’ai mon voyage. Alors, vous me pardonnerez si pour une chronique, une chronique seulement, j’éprouve le besoin de changer de décor afin de ne pas sombrer dans une neurasthénie débilitante. L’idée de prendre la poudre d’escampette ne m’attire pas particulièrement. Alors, comment puis-je échapper à cette crise existentielle ?
La réponse m’est venue subitement, par hasard, alors que je végétais tranquillement devant un plat de purée de pommes de terre, encore toute chaude, dont la forme me rappelait celle d’un volcan. Je connus ainsi un moment « Eurêka » à la Spielberg. Si je ne veux ou ne peux physiquement voyager, je peux le faire par l’esprit en faisant appel à mes plus beaux souvenirs.
Je me suis ainsi retrouvé au début des années 70 alors que je séjournais à Santo Stefano di Camastra sur la côte occidentale de la Sicile. Impossible de séjourner dans ce village sans aller faire une petite excursion aux îles Éoliennes, un archipel volcanique, connu aussi comme les îles Lipari, du nom de l’île principale où j’ai passé toute une semaine à l’explorer ainsi que ses environs. Paysages enchanteurs, pittoresques. L’envie de m’établir en ce lieu et de ne plus y bouger m’a effleuré l’esprit. Moment d’extase qui n’a pas duré et dont je me suis facilement remis. Je faisais ce voyage pour découvrir une partie du monde qui m’était inconnue et non pour chercher un endroit où m’installer.
Durant mon bref séjour à Lipari, une petite randonnée à Vulcano, une île voisine où par bateau je me suis rendu, s’imposait. Une fois sur place, il ne restait plus qu’à explorer son volcan en sommeil depuis 1890. L’ascension du volcan n’a pas été chose facile. Arrivé au sommet je suis descendu au fond du cratère duquel, par les interstices, s’échappaient à certains endroits des filets de fumée à l’odeur sulfureuse. Pas question donc de demeurer trop longtemps à piétiner, tout en m’amusant, la surface du cratère.
Si la montée, pour moi, fut quelque peu éprouvante, la descente par contre s’est avérée quasiment dangereuse. À plusieurs reprises j’ai failli perdre l’équilibre et débouler la pente du volcan. J’ai dû m’accrocher à sa paroi pour ne pas glisser alors que les petites pierres volcaniques lâchaient prise sous mes souliers. Le petit sentier étroit emprunté fut d’une traîtrise insoupçonnée. À plusieurs reprises la panique a failli prendre le dessus. J’avais hâte de me retrouver dans la vallée, en terrain plat, loin de ce volcan endormi, certes, mais qui, par son côté périlleux, m’a tenu éveillé.
Suite à cette petite aventure et les frayeurs encourues, j’admets volontiers qu’en ce qui me concerne, je préfère voir les volcans en image ou à la télé plutôt que de me lancer à leur conquête. Parlant encore de volcan, que dire du Stromboli, toujours en activité sur l’île, à proximité de Lipari, qui porte son nom. Son grondement incessant pour ne pas dire menaçant m’empêchait de dormir une bonne partie de la nuit. Quant à l’Etna, le célèbre et plus haut volcan actif de l’Europe, situé non loin de Catane, la deuxième plus grande ville de Sicile, il était interdit d’accès, au moment où j’y étais, suite à son éruption, trois mois auparavant, dont les coulées et l’activité sporadique menaçaient la ville et ses environs. Malgré tout, à aucun moment, je ne me suis senti véritablement en danger. Je soupçonne l’Etna, étant un des volcans les plus actifs au monde, de vouloir historiquement voler la vedette au Vésuve dont, j’en suis convaincu, il envie la notoriété. Comment expliquer autrement ses constantes éruptions, preuve de sautes d’humeur infantiles dues à une rivalité ancestrale ? Il est bon de savoir qu’entre volcans, la jalousie se lave en famille.
Suite à cette petite excursion dans le passé, je me sens obligé maintenant de retourner à notre triste réalité qui a le don de me mettre en boule au point de me faire figurativement exploser comme un volcan.