Décalé

Le décalage horaire, une calamité dont j’aimerais me passer mais qui me sert aussi d’excuse pour me permettre de dire n’importe quoi, continue de me jouer des tours depuis mon retour. La tête dans le brouillard j’essaie, tant bien que mal, d’y voir clair. Cette chronique étant le reflet par excellence de cette affliction.

Pendant mon absence d’une durée de plus de deux semaines, quelques faits parmi tant d’autres ont retenu mon attention alors que tranquillement je tentais de jouir des plaisirs de la vie le dos tourné aux événements de l’actualité quotidienne.

À peine, toutefois, étais-je allongé, installé confortablement dans un siège transat sur une belle plage méditerranéenne, que la nouvelle m’est tombée dessus comme un cheval de Sa Majesté dans ma mare. Imaginez ma surprise, ma stupéfaction : je quitte le Canada avec une reine à sa tête et j’y retourne pour y trouver un roi sans tête qui, j’espère, a bon dos. (Suis-je en train de commettre un crime de lèse-majesté en osant dire cela ?)

Pas question pour moi, d’où j’étais, de regarder les funérailles retransmises à la télé. J’ai d’autres monarques à fouetter. Ces grandes pompes rendant hommage à la reine défunte me pompent l’air comme Pompidou aurait pu le dire. Elles ne font qu’aggraver mon dédain envers la royauté. Assister au long défilé du cercueil royal ne figure pas parmi mes passe-temps favoris. En guise de divertissement je pense qu’on peut faire mieux. Cet exercice puéril accentue le fossé qui me sépare de la famille royale. Devant les grands de ce monde je suis obligé de reconnaître jusqu’à quel point je me sens petit. Petit certes, mais, contrairement à ce que les monarchistes voudraient me faire croire, pas sujet et surtout pas assujetti.

Un moment d’inquiétude sinon de chagrin m’a toutefois effleuré en apprenant le décès d’Élizabeth II, notre ancienne souveraine nouvellement passée de vie à trépas. Je me suis mis à m’inquiéter du sort réservé aux corgis royaux. Qui va s’en occuper ? Je ne vois pas le nouveau roi, Charles III, qui historiquement héritera du sobriquet Charles le malaimé, prendre soin de ces créatures si chères à sa mère. Il n’a pas la tête à ça. Je verrais bien ce souverain qui, à une époque, se prenait pour un tampon hygiénique féminin, se confier davantage à ses plantes plutôt qu’à ces corgis dorénavant orphelins. Oui, au cas où vous ne le saviez pas, monsieur parle aux plantes, ce qui à priori ne peut lui être reproché.

De là, j’étais prêt à passer à autre chose. Soucieux de ne pas gâcher mes vacances je me suis dit que ce n’était pas un transfert de couronne qui allait contrarier mon séjour au pays qui fut depuis ma naissance mon port d’attache mais avec lequel j’ai depuis longtemps largué les amarres. Ravi de le revoir, heureux de le quitter. Mon histoire d’amour avec la France s’est au fil des années lentement mais sûrement estompée. Elle et moi avons changé. À tel point qu’il nous est impossible de vivre ensemble. Je me suis trouvé une autre patrie plus accommodante, plus susceptible de faire mon bonheur. Un divorce à l’amiable, somme toute.

Quelques jours plus tard, alors que j’étais perdu dans mes pensées patriotiquement pro-canadiennes et que je sirotais tranquillement mon pastis à la terrasse d’un café tout en consultant les nouvelles du Canada sur un site internet, j’ai failli tomber à la renverse. Je venais d’apprendre l’élection de Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur du Canada. Son élection en soi ne représentait pas une surprise. Il était le grand favori et a su l’emporter haut la main. Mon étonnement, qui me poursuit encore jusqu’à ce jour, provient de cette profonde incohérence qui existe au sein du parti qu’il dirige maintenant : comment peut-on prétendre favoriser le respect de la loi et de l’ordre pour ensuite élire un individu qui s’est opposé farouchement à la campagne de vaccination du gouvernement libéral contre la COVID-19 et soutenu sans ambages l’action des camionneurs du soi-disant « convoi de la liberté » ? De toute évidence le Parti conservateur n’est plus à une contradiction près.

Dans l’avion qui me ramenait au Canada, alors que l’hôtesse nous servait un plat de « gâchis » parmentier dont le goût, vous l’avez compris, laissait à désirer, je ne pus m’empêcher de revenir sur les difficultés et la frustration par lesquelles je suis passé à essayer, quelques jours auparavant, de remplir l’application ArriveCAN pour me faire dire par ma voisine, une fois dans l’avion, qu’à partir du 1er octobre cette fonction serait abolie. Ah ! bureaucratie, que tu sois canadienne, française ou d’ailleurs, j’aimerais tant qu’un jour tu apprennes à nous lâcher.