Ce n’est ni la misère, ni l’espoir d’une vie meilleure, ni même des projets solidement bâtis qui m’ont amené à Vancouver. Non, c’est l’ennui. La lassitude de voir ma France bien aimée retourner à ses vieux démons, des perspectives de carrière aussi vides qu’un carré de banquise un soir de brouillard, une vie sentimentale aussi excitante qu’un documentaire de 5 heures sur la philatélie dans l’Angleterre victorienne. Il n’y avait qu’une seule personne au monde capable de me tirer de cet ennui : Monsieur Jack London. J’ai lu et relu ses récits sur le Grand Nord canadien, sur la côte Ouest, j’ai entendu son appel de la forêt et comme rien ne me retenait, je l’ai laissé me mener ici, à l’autre bout du monde, à l’endroit même où les chercheurs d’or se regroupaient avant de partir vers le Klondike.
Arrivé sans projet ni contact, sans même être capable de vivre de mon métier de journaliste dans une langue que je maîtrise modérément, je n’avais qu’une seule chose à faire : écouter la ville. Terra Incognita, il n’y a pas si longtemps, j’ai été stupéfait par le degré de civilisation atteint par les habitants en si peu de temps. Non par la qualité et la réalisation des constructions, il n’y a guère que l’architecture de Downtown et Gastown qui ait flatté mon sens de l’esthétique, mais par la qualité des humains qui, un jour, ont tout quitté pour venir bâtir cette cité de paix, de calme, et de tolérance. Avec un petit bonus appréciable pour tout francophone désireux de se perfectionner dans la langue de Shakespeare : l’affichage bilingue des produits.
Pour ceux qui ne connaissent pas la France, il faut bien se rappeler que le pays a une structure sociale bien plus rigide qu’il ne veut bien l’admettre. Les destins des blancs, des noirs et des arabes se croisent au travail, dans la rue, mais pas dans la vie. Ce n’est qu’en arrivant ici que je me suis rendu compte que le seul couple mixte que je connaissais auparavant était celui de ma sœur. Sur les centaines de personnes de mon entourage, il n’y avait qu’un seul couple avec un noir et une blanche… Et s’il m’a fallu faire des milliers de kilomètres pour m’en apercevoir. Pour découvrir, pour la première fois un endroit où la différence n’engendre pas la méfiance, ou les couleurs engendrent le meilleur et non le malheur.
Une belle leçon de vie pour l’être soit disant « civilisé » que je pensais être.
Bien sûr, le paradis sur terre n’existe pas, mais si ce dernier existait, il prendrait plus de choses de Vancouver que de Paris. Propreté, civisme, respect des autres, situation géographique, amabilité, les qualités qui définissent la ville ne manquent pas. Pourtant, la « Raincouver » est un mélange de culture anglosaxonne et asiatique. Tout est déjà dit, mais je vais développer mon propos : il s’agit d’un mariage entre la civilisation la plus égoïste du monde et une des cultures les plus pudiques et réservées que la terre ait jamais portée. Loin de la chaleur de nos traditions latines et gauloises, les Vancouvérois sont d’un abord poli et agréable, tolérants absolument, mais ils ne sont pas chaleureux. Du moins, pas avant qu’une dose suffisamment forte d’alcool n’ait levé quelques inhibitions.
Ici on apprend la patience, l’humilité (comment faire autrement lorsque l’on est assis entre l’océan infini et les majestueuse cimes enneigées des montagnes ?) et une certaine pudeur. Mon grand moment a été de réaliser à quel point tout