Ça y est, c’est confirmé : je n’irai pas au paradis. J’ai trop péché pour mériter ce privilège, m’a-t-on fait comprendre. Ce n’est pas que je tienne particulièrement à m’installer en ce haut-lieu de l’Au-delà mais d’après ce que l’on a bien voulu me confier sur le sujet, le paradis, à ne pas confondre avec le nirvana, serait ce que l’on trouve de mieux une fois bien installé dans l’Outre monde. Une sorte de 5 étoiles parmi le monde des stations thermales du jardin d’Éden. Sachant qu’un Poutine, qu’un Xi, qu’un Orban ou tout autre tyran de la sorte (et Dieu sait s’il y en a) n’auront aucune chance de s’y retrouver, il va sans dire que le paradis, s’il existe, j’insiste bien sur le « s’il existe », à mes yeux ne demeure pas sans attrait.
Mais voilà, à plusieurs reprises, je le confesse, j’ai failli à la tâche. Entre les dix commandements et les sept péchés capitaux combinés, la marge de manœuvre était trop réduite et ne pouvait que me conduire à l’erreur. Je n’ai pu éviter de tomber dans les différents pièges qui m’étaient tendus. À la tentation de mal faire, comme un idiot, j’ai succombé. Me voilà donc bien mal pris après mon trépas, pourrait penser un janséniste soucieux de mon bien-être.
Oui, pour commencer j’avoue avoir volé. J’ai en effet volé la vedette à un ami alors que nous étions tous deux invités à une fête destinée à célébrer non pas les Oscars mais plutôt la venue du mois de mars et celle du printemps. L’ami en question ne m’en a pas voulu car je suis venu voler à sa rescousse alors qu’il était aux prises avec un groupe d’individus favorisant la politique économique d’un Pierre Poilievre (qui dernièrement n’en manque pas une pour se faire remarquer) dont la doctrine fondamentale (excusez la caricature) se résume à ceci : Ne taxons pas les riches car ce n’est pas de leur faute mais celle des moins nantis, s’ils sont riches.
Autre péché, qui ne me sera sans doute jamais pardonné, c’est celui de tuer car, les Tables de la Loi le précisent bien : « tu ne tueras pas ». Or je tue à tue-tête. Je passe mon temps à tuer le temps. Que ce soit à attendre dans la salle d’attente de mon médecin ou à envisager l’arrêt des hostilités en Ukraine ainsi que la fin de la pandémie du coronavirus; que ce soit à anticiper la chute du gouvernement de Netanyahou en Israël ou la baisse des taux d’intérêt et du prix de l’essence; que ce soit à poireauter impatiemment avant l’éclosion des cerisiers japonais ou la venue de la saison estivale, tout le temps, têtu, ce qui me tue, je passe mon temps à tuer le temps. Quel massacre. Plus je tue moins je me tais.
Autre bévue et non des moindres : je me suis permis d’invoquer le nom de Dieu en vain (et fromage) lors d’une réception donnée en l’honneur du premier discours du roi Charles III en tant que monarque à la tête du Commonwealth. Cela m’a échappé. « Nom de Dieu » me suis-je écrié. J’ai failli avaler de travers mon camembert alors que j’étais pris d’un fou rire en observant le mari de la reine, qu’on sort, se préoccuper de questions environnementales avant d’embarquer dans sa Rolls-Royce qui en principe devait l’emmener chez lui, où le chauffage, j’en suis sûr, doit marcher à fond, en attendant de s’aventurer vers une série de voyages en avion, polluant ainsi davantage la planète au passage.
Son discours, je l’admets, rempli de bonnes intentions m’a, il est vrai, mis en colère. Quand je pense qu’au mois de mai, le 6 pour être précis, il sera couronné roi au cours d’une cérémonie à laquelle, par orgueil, je ne participerai pas. La moutarde, objet de ma gourmandise, me monte déjà au nez. Au fond, à bien y penser, en mon for intérieur, je l’avoue, je l’envie un peu. Ce jour-là, lors de son couronnement, pour je ne sais quelle raison, par souci de calmer mon goût pour la luxure, j’ai l’intention de me goinfrer autant que possible et ne laisser pas la moindre miette à quiconque par pure avarice. Puis, à la suite de ces six péchés capitaux que je tenais absolument à souligner, par paresse, et afin de compléter le tableau, je me reposerai.
Que de péchés commis. Ils m’interdiront, j’en conviens, l’accès au paradis. Me voilà donc coincé, à l’avenir incertain, sans destination céleste précise. Face à cette triste situation, afin de me consoler, j’ai l’intention de partir à la pêche, histoire de me faire oublier tous mes péchés.