Ouf ! On a eu chaud. La vague de froid qui a sévi dans notre région aurait pu durer plus longtemps. Heureusement, m’ont fait savoir certains experts en la matière, elle n’était que de passage. Dois-je les croire ? Pas nécessairement. Les dentistes ne sont pas les seuls à pouvoir mentir.
J’en suis donc réduit à espérer que cette vague de froid ne manifeste pas son intention de venir nous rendre visite prochainement. Il ne manquerait plus que ça qu’elle fasse de nouveau son apparition. Pas question pour moi de l’accueillir à bras ouverts. La neige je veux bien mais les températures allant au-dessous de -10, très peu pour moi. Pas maso pour un sou le Castor.
Ceci m’amène, sans que je sache vraiment pourquoi, à vous parler de ma relation avec le froid. Ce sujet, j’imagine, ne vous fait ni chaud ni froid. Vous en avez vu d’autres. Chat échaudé craint l’eau froide. Pour moi aussi la question du froid importe peu mais elle me permet d’éviter certains sujets qui ont le don de me faire perdre mon sang-froid. Pensez aux constants bombardements à Gaza et en Ukraine, observez les primaires du parti républicain aux États-Unis, considérez les chicanes politiques canadiennes, constatez la dérive mondiale face aux problèmes environnementaux et vous comprendrez pourquoi j’en arrive à presque regretter la triste période de la guerre froide.
Ayant l’intention de garder la tête froide je me suis dit « aujourd’hui mon castor vas-y mollo, n’aie pas froid aux yeux, lance-toi dans une diatribe susceptible de ne pas créer de remous ». Attitude critiquable, j’en conviens, mais qui ne fait de mal à personne. Par les temps qui courent, faire du bien à son prochain, vous l’admettrez, devient une démarche fort louable.
Alors, allons-y gaiement, battons le fer pendant qu’il est chaud ou, plus adapté à notre région nordique, patinons sur la glace pendant qu’il fait froid. J’aurais pu tout aussi bien parler du chaud mais la saison ne s’y prêtait pas. Et puis le froid je connais ça. Il y a plus de cinquante ans j’ai choisi de venir vivre au Canada. Je savais à quoi m’en tenir. Ma décision n’a pas été prise à froid et encore moins à la légère. À l’époque j’étais jeune et je n’avais pas froid aux yeux. En 1969 j’ai d’abord atterri au Québec où j’ai passé plusieurs hivers. Il y faisait un froid de canard. De là mon départ vers Vancouver, destination plus clémente à mes yeux. Ceci fut vrai jusqu’à la semaine dernière où, une fois n’est pas coutume, l’hiver m’a cueilli à froid. L’idée qu’une autre vague nous tombe dessus me donne des sueurs froides. J’en ai froid dans le dos.
Le froid je dois le reconnaître possède ses avantages. Il me tient éveillé, frigorifié certes mais alerte contrairement à la chaleur qui a plutôt tendance à m’endormir et me rendre léthargique. Le gel par contre me gèle. Entre le chaud et le froid mon cœur balance. Je ne sais pas lequel des deux me convient le mieux. J’ai fait la traversée du Sahara. Je suis allé jusqu’à Tamanrasset. J’ai bu du thé avec des Touaregs, caressé des dromadaires mais, en contrepartie, j’ai aussi fait des randonnées en traîneau à chiens, j’ai pu admirer, vue d’avion, l’immensité de la toundra arctique et j’ai apprécié les repas et savouré les rencontres avec les Inuits au Nunavut. Je ne peux pas dire que ces antipodes m’aient laissé indifférent. Au contraire, bien que rivaux les deux se valent et je les vénère tout autant.
J’admets, cependant, sans une certaine gêne, car cela peut paraître contradictoire, me sentir mieux au chaud qu’au froid dès l’instant où l’on n’atteint pas les extrêmes de ces deux pôles. Ainsi parle mon corps qui n’en fait qu’à sa tête. Cette dernière, toutefois, tout en gardant la tête sur les épaules, a sa propre logique. Dans un pays où il fait froid il est possible de se réchauffer soit en s’habillant adéquatement soit en montant le thermostat du chauffage à la maison. Par contre dans un pays où il fait chaud, même trop chaud, impossible de se refroidir à moins de faire appel aux appareils de climatisation lesquels rendent malade et l’air irrespirable. Ma tête, ainsi, a eu raison de mon corps. De là mon choix de rester au Canada.
Me voici donc à faire l’apologie du froid alors que je viens de passer mon temps à me lamenter de sa vague qui s’est dernièrement abattue sur nous. Oui, je lui en veux à cette vague. Elle ne paie rien pour attendre. Dès qu’elle apparaîtra je lui ferai sa fête. Cela peut prendre un an, deux ans, même plus. Mais qu’importe. Je dois le rappeler : la vengeance est un plat qui se mange froid.