En décidant le 24 janvier 2024 de limiter la venue d’étudiants étrangers au Canada de 35% au cours des deux prochaines années, cette mesure d’Ottawa semblait nécessaire notamment pour atténuer la crise du logement qui sévit au pays. Mais, certains observateurs se demandent s’il s’agit d’un revirement historique dans sa stratégie de recrutement et d’accueil des immigrants ?
Nadia Agamawy, IJL- Réseau.Presse – Journal La Source
Durant les dernières décennies, le Canada a considéré les étudiants étrangers, hautement qualifiés et possédant au moins une des deux langues officielles, comme de potentiels « immigrants idéaux » qui contribueraient à l’économie du pays sur le long terme.
Leur venue était alors longtemps encouragée par les politiciens à Ottawa. En 2020, pendant la pandémie, le message de l’ancien ministre de l’immigration, Marco Mendicino, était le suivant : « notre message aux étudiants et diplômés étrangers est simple : nous ne voulons pas seulement que vous fassiez vos études ici, nous voulons également que vous demeuriez ici ».
S’agit-il d’un revirement ?
Pourquoi alors un tel revirement par rapport aux étudiants étrangers ? Dr. Lisa Brunner, enseignante postdoctorale à l’Université de la Colombie-Britannique et qui a consacré sa thèse de doctorat sur le lien entre éducation supérieure et immigration explique que ces dernières années, Ottawa aurait effectivement eu un changement de cœur par rapport aux étudiants étrangers, les percevant un peu moins comme « immigrant idéal ». Il faut préciser que ce changement d’avis ne concerne pas les étudiants en deuxième et troisième cycle. Ottawa continue de considérer ceux-ci comme d’idéals futurs résidents permanents, voire comme de potentiels citoyens, aux contributions durables à l’économie.
Quant aux étudiants de premier cycle, des études ont révélé que beaucoup d’entre eux ont éprouvé des difficultés à trouver un emploi dans leur domaine, sur un marché de travail de plus en plus compétitif. « Mais aussi souvent discriminatoire », souligne Dr. Brunner.
Donc, ces étudiants étrangers, souvent en situation de précarité de par leur statut, se trouvent à faire des petits boulots de survie à leur sortie de l’université.
Éducation supérieure et immigration, une relation problématique
Dans sa thèse de doctorat, Dr. Brunner expose les aspects éthiques et problématiques d’une interconnexion entre la politique d’immigration fédérale et les étudiants étrangers. Elle explique que la politique d’immigration canadienne a longtemps utilisé l’éducation supérieure comme un terrain de « recrutement » de futurs immigrants détournant ainsi le rôle et la mission première des institutions éducatives. Ces dernières sont devenues, d’office, des agents qui sélectionnent, admettent et forment des étudiants étrangers en vue d’assister à la transmutation de leur statut d’étudiant en statut d’immigrant.
Ce chevauchement problématique entre éducation supérieure et immigration a débuté dans les années 70 et 80. En 1977, les étudiants étrangers ont commencé pour la première fois à payer des frais de scolarité différentiels. En 1996, les frais de scolarité ont été déréglementés, conférant ainsi aux universités le pouvoir de fixer eux-mêmes le montant des frais de scolarité pour les étudiants étrangers. Ainsi, au fil des décennies, les universités au Canada sont devenues trop dépendantes de l’argent des étudiants étrangers. A titre d’exemple, en 2021-2022, les frais de scolarité payés par les étudiants en provenance de l’étranger constituaient 27% des revenus de fonctionnement de l’Université de la Colombie-Britannique. Une part énorme. L’Université prévoyait même une hausse de ce pourcentage en 2023/2024.
Ottawa admet d’ailleurs ce problème éthique dans le communiqué officiel publié le mois dernier. « Au cours des dernières décennies, l’intégrité du système des étudiants étrangers a été remis en cause. Certains établissements ont grandement augmenté leur nombre d’étudiants étrangers afin d’accroître leurs revenus, et de plus en plus de ces étudiants sont arrivés au Canada sans bénéficier du soutien nécessaire pour réussir ».
À ce stade, il est difficile de pouvoir anticiper toutes les ramifications de cette mesure, souligne Dr. Brunner. Néanmoins, il est certain que les budgets des institutions éducatives souffriraient lourdement si le gouvernement et les Canadiens – ne prennent pas conscience de l’intérêt de verser de l’argent public dans l’éducation supérieure.