Traditionnellement, lorsque vient l’été, l’actualité prend une pause. Un air de légèreté s’impose. Loin des tracas de l’année écoulée, les plus chanceux en profitent pour se ressourcer. À la mer ou à la montagne, dans une cabine ou en kayak, à la recherche d’un endroit calme pour camper sous la voie lactée, ces moments rares sont faits pour nous rappeler notre chance d’être en vie et conscients de l’être sur cette petite planète. Dans l’immensité de l’univers, entre rêve et cauchemar, nous sommes les navigateurs du vaisseau glorieux qui dérive quelque part. Mais n’ayons crainte du vide. Il y a sur ce vaisseau spatial, à condition de respecter quelques règles élémentaires, tout le confort à bord.
Désormais notre ciel d’été, bien malheureusement, est souvent nappé de fumées. Sous l’effet des sécheresses que nous avons générées, les forêts brûlent plus tôt dans l’année et plus intensément. Le soleil couchant est rougeoyant, la lune incandescente. Entre beauté inquiétante et annonce de l’apocalypse, le cerveau hésite. Les étoiles qui devaient nous rappeler notre chanceuse mais précaire condition d’astronaute, que nous sommes tous et toutes dans le même bateau, ont leur message voilé derrière cette fumée.
En vérité, si nous levions les yeux de nos écrans, si nous prenions la pleine mesure de ce qui se passe à bord, nous aurions toutes les raisons de paniquer. C’est bien le vaisseau Terre qui est en feu ! Ce ciel enfumé n’est pas une lointaine interface avec le cosmos. L’atmosphère que nous polluons sans vergogne est l’habitacle même de notre capsule. Il y a urgence ! Mais il n’est pas certain que l’équipage en ait pleinement conscience.
Au moment d’écrire ces lignes, en Alberta – chef-lieu des intérêts pétroliers et, de ce point de vue, ce territoire est l’incarnation même du péché originel – l’air est irrespirable. En Colombie-Britannique, alors que la saison des feux bat encore des records, les projets gaziers vont de l’avant et nous savons très bien que le méthane produit ici puis vendu ailleurs, ne fera qu’aggraver la situation climatique. À Vancouver, îlot de prospérité que rien ne saurait affoler, ni les risques écologiques, ni la misère qu’elle génère, nous avons failli perdre gros le 6 août dernier. Un incendie s’est déclaré dans le quartier de Dunbar sur un site de construction. En très peu de temps, « les arbres étaient en feu, les pelouses étaient en feu, les toits étaient en feu, et il n’y avait pas assez de pompiers ». Un peu plus de vent et l’incendie aurait pu virer au drame. Au fur et à mesure que notre monde se réchauffe et s’assèche, la combustibilité augmente. Même à Vancouver, « nous ne sommes pas prêts » conclut John Vaillant dans une tribune pour le Globe and Mail.[1]
Face à ces constats, au cinéma comme en littérature, on s’attendrait au sursaut. L’émergence des héros, qu’ils soient simples matelots ou capitaines, devrait susciter un sentiment collectif d’urgence absolue à changer de voie. Mais dans la vraie vie, le sentiment d’urgence n’a toujours pas pénétré les hautes sphères de responsabilité. À Vancouver, des élus se contentaient de féliciter les pompiers pour avoir maîtrisé l’incendie de Dunbar mais quelques jours plus tôt, ces mêmes élus revenaient sur l’interdiction du gaz naturel dans les nouvelles constructions, en total contre-pied des politiques climatiques engagées par la ville depuis des années. C’est dystopique.
Le travail d’éducation des équipages est loin d’être terminé. Mais le travail de formation des capitaines est, lui, à peine commencé. Il y a ceux qui ont compris et ils sont encore peu nombreux. Il y a ceux qui font semblant de ne rien comprendre, ce n’est pas glorieux. Et ceux qui pensent pouvoir se permettre de ne pas comprendre. C’est irresponsable. Peut-être est-ce là l’une des raisons de la paralysie persistante et de l’inaction écologique. Le philosophe Edgar Morin voyait les choses dans cet ordre : « Si l’on est convaincu de l’urgence comme de l’évidence, de changer de voie, alors, et alors seulement, se dessinera une voie. Et une espérance. On ne peut rien faire sans espoir, en se cantonnant dans la mélancolie, le dépit ou la résignation. »
Le travail de conviction continue…
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et conseiller des Français de l’étranger.