La France a instauré la carte d’identité nationale d’abord pour des motifs policiers. Au Canada, un projet similaire a ouvert le débat sur les libertés civiles.
Pour comprendre la non-existence d’une carte d’identité au Canada, il est intéressant de s’attarder sur le Haut Moyen-Age britannique. Guillaume le Conquérant, nouveau maître de l’Angleterre, ordonna à la fin du XIème siècle le recensement des ressources humaines et matérielles du pays. Le « Livre du Jugement Dernier » dressait ainsi un large cadastre, destiné à établir le montant exact de la taxe.
Dans les pays anglo-saxons, identification rime dès lors avec participation au fonctionnement de la société. Inexistante au Royaume-Uni, en Irlande, en Australie et en Nouvelle-Zélande, la carte d’identité y est remplacée par des modes d’authentification davantage reliés à des activités. Il s’agit, dans la plupart des cas, d’autorisations relatives à la conduite d’un véhicule ou à l’âge légal pour consommer de l’alcool. Les États-Unis et le Canada délivrent pour leur part des cartes d’identité aux personnes qui ne sont pas en mesure de prendre le volant.
Un projet policier
Une situation bien différente de la France, où la carte d’identité reste le premier moyen d’identification. Celle-ci fut tout d’abord instaurée pour des raisons policières. Pierre Piazza, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Cergy-Pontoise, indique qu’ « en octobre 1955, un des objectifs qui motivent la création de la carte nationale d’identité est […] le contrôle des Français musulmans d’Algérie. »
Cette tendance a depuis tenté de s’exporter en Amérique du Nord. En 2003, le ministre canadien de l’immigration, Denis Coderre, a déposé un projet de loi visant à établir une carte d’identité nationale. Le ministre répondait alors aux attentes des États-Unis en projetant d’élaborer un outil de contrôle biométrique à la frontière. Cependant, le Comité parlementaire chargé de l’évaluation a estimé que les coûts seraient trop élevés, et que cela représenterait un obstacle pour les libertés civiles.
La question est revenue épisodiquement au fil des différents gouvernements. En 2006, le ministre de la Sécurité Publique, Stockwell Day, a estimé qu’un changement était inévitable : « Qu’il s’agisse d’une sorte d’approche biométrique, d’un renforcement du permis de conduire – [toutes ces idées] méritent d’être explorées […] »
Un rejet des Tories anglais
Le débat n’a pourtant pas ressurgi aux cours des dernières années. Il faut peut-être y voir les conséquences de l’échec du projet de carte d’identité au Royaume-Uni. Le Parti Conservateur britannique – qui avait écrit aux entreprises chargées de produire cette carte pour leur déconseiller de s’engager dans cette démarche – s’était fermement opposé à cette politique.
Parvenu au pouvoir en 2010, le gouvernement de David Cameron a interrompu le processus mis en place par les travaillistes. Les quelques 15 000 personnes qui s’étaient dotées d’une carte d’identité les ont conservées en « souvenir », selon le mot employé par la Ministre de l’Intérieur, Theresa May.
Stephen Harper, qui ne s’est pas prononcé sur la question depuis l’acquisition de sa majorité, ne souhaite certainement pas ouvrir un nouveau champ de controverse. Il risquerait en effet de s’attirer deux types de critiques : d’une part, la nécessité d’engager des frais élevés (estimés à 7 millions de dollars en 2003), de l’autre, un fichage des données biométriques contre lequel s’élèvent de nombreuses voix. Il serait également délicat pour un gouvernement conservateur – qui a montré, ces dernières semaines, un attachement visible pour la Couronne britannique – de défendre une mesure décriée par les Tories anglais.