C’est une règle : pour savoir où l’on va, il faut reconnaître où nous sommes. Les dernières semaines ont assené un coup au moral des troupes. Les nouvelles ne sont pas bonnes. La troisième ville de l’Espagne, Valence, a subi des inondations dantesques dopées par le réchauffement climatique. Plus de deux cents vies fauchées. Je ne peux me départir de cette vision des frères et sœurs qui, tentant de fuir, ont été coincés dans leur voiture avant d’être emportés par les boues. Aux États-Unis, il y a des incendies d’automne qui ravagent le nord-est, et des ouragans qui terrorisent le sud-est. Ailleurs il y a les guerres entre les hommes, les IA, les missiles, les balles et les drones qui tuent à tour de bras.
Comment garder le moral ? L’élection du vieux Donald pour un deuxième mandat n’est pas de nature à aider. Le businessman a promis un programme d’extrême droite, de déportations et de forages pétroliers. Pour l’écologie, il n’y a rien à attendre ni de lui ni de son nouvel ami Elon qui a la tête sur Mars. Il n’y a rien à attendre d’eux, à moins que… ce spectacle finalement assez prévisible soit le bouquet final d’un feu d’artifice commencé il y a bien longtemps. Et si la civilisation thermo-industrielle née à la fin du XVIIIe siècle, l’extractivisme et ses valeurs néo-libérales qui font courir l’humain et la nature jusqu’à l’épuisement étaient en train de s’effondrer ?
En regardant de près à la pyramide des valeurs qui animent les débats, on retrouve au sommet l’argent. Tout est chiffre, tout est dollar : dépenses environnementales et sociales qu’il faudrait réduire, dépenses militaires et de productivité qu’il faudrait augmenter. La croissance est devenue un culte dans lequel on ne parle jamais du partage équitable des richesses qui permettrait à chacun de vivre en paix et en santé. Ensuite viennent les technologies qui promettent de faire tourner l’économie toujours plus vite, de rendre la vie toujours plus facile. Ce faisant, de nombreux savoir-faire humains sont sacrifiés. On ne saura bientôt plus lire, ni écrire, mais nous aurons des machines pour nous dire quoi faire, quoi penser et quoi acheter. Dans cette vision, le socle est constitué des énergies, des métaux et des ressources que nous exploitons sans vergogne ni prévoyance. Mais les ressources ne sont pas renouvelables, elles s’épuisent et donc le feu d’artifice finira par mourir. La grande oubliée dans cette vision, c’est la biosphère, celle dont dépend tout le reste, un air propre et une eau claire, une faune et une flore en santé, et puis un peu de temps libre pour en profiter.
C’est justement parce que la fin des ressources abondantes et pas chères est proche que les plus arrogants faisant mine d’ignorer le problème parviennent à se faire élire. Leur déni rassure. Pour préparer la suite, tout va dépendre de notre capacité d’anticipation. Aurons-nous renversé la pyramide des valeurs à temps ? Il faut le souhaiter.
Nate Hagens, est un auteur et éducateur américain spécialiste des questions énergétiques et écologiques. Il entrevoit l’émergence de nouveaux antagonismes dans le débat. Selon lui, dans un futur plus ou moins proche, de grandes oppositions vont se manifester. Nous sommes actuellement dans une vision du monde bâtie autour du culte de la puissance et qui ne fait que peu de cas du sort des vivants. Il nous faut bâtir une vision autour du culte du vivant. Les règles du jeu actuelles favorisent encore fortement la compétition alors qu’il nous faudrait plus de coopération. L’individu comme sujet social doit passer après le collectif, comme ce fut le cas pendant l’essentiel de l’histoire de l’humanité. Le réflexe de l’extraction de valeur contenue dans la terre, les plantes ou les animaux, doit être supplanté par un réflexe de la régénération des sols et des écosystèmes. La résilience contre la performance. Le naturel contre l’artificiel. L’envie d’agir pour le présent contre celui d’agir pour l’avenir.
Nous sommes nombreux à sentir que les certitudes d’hier se dérobent sous nos pieds. C’est peut-être inévitable. La question n’est pas de savoir si nous souhaitons ces changements ou pas. La question est de savoir quelles seront nos valeurs.
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et Conseiller des Français de l’étranger.