Où est mon chez moi et est-ce que j’en ai un ? Telle est la question. Question que je me pose depuis mon arrivée à Vancouver il y a neuf ans et qui a su me tarauder parfois. Question à laquelle il est très difficile et complexe de répondre.
Je suis né à Levallois-Perret, en région parisienne, et j’ai passé les onze premières années à Boulogne-Billancourt, une autre banlieue de Paris. Cependant, je n’ai jamais obtenu de passeport français pour la bonne et simple raison que le droit du sol n’est pas automatique en France. Selon les autorités étatiques de ce monde, puisque mes parents étaient Canadiens, je l’étais aussi.
S’il est vrai que grâce à mes parents je parlais couramment l’anglais et j’étais immergé quotidiennement dans un environnement familial qui n’était pas Français, il aurait été tout de même beaucoup plus logique de me considérer comme étant Français. En presque tout, je me considérais comme tel. L’Histoire de France que l’on m’enseignait à l’école n’était pas l’histoire d’un peuple dont j’étais l’hôte, mais bien l’histoire de mon pays, de ma patrie.
La culture qui m’entourait m’avait imprégné de sa façon de penser et de vivre. Je vivais et anticipais une vie française. Je voyais s’étendre devant moi un chemin passant par le collège et le lycée, aboutissant enfin à une vie adulte dont je ne savais très peu à part qu’elle se déroulerait de préférence dans mon pays natal.
Mais, mes parents désirant retourner à Vancouver, la ville de leur enfance, pour être plus près de leurs parents vieillissants, j’ai dû quitter la France en 2003. Ce déménagement m’a véritablement bouleversé. Je me sentais comme déraciné à cause de la séparation de mon pays qui m’avait été imposée. Je pensais sans cesse aux amis que j’avais quittés ainsi qu’à presque tous ceux qui avaient peuplé le monde de mon enfance. Le pire, c’était de savoir qu’ils se débrouillaient tous très bien sans moi, que les choses changeraient sans que je puisse y assister.
En même temps, je faisais une comparaison continue entre Paris et Boulogne-Billancourt d’une part, et Vancouver de l’autre. La ville que plusieurs considèrent l’une des meilleures au monde souffrait, à mes yeux, de la comparaison. Je me plaignais du manque d’histoire de Vancouver et de sa petitesse par rapport à la capitale française. Ses charmes, ses plages et ses montagnes, étaient tant de choses auxquelles j’étais insensible. A la première occasion j’envisageais de rentrer en France. J’avais le cœur déchiré.
Par contre, au cours de sept années passées à Vancouver, la douleur s’est évidemment atténuée, voire même disparue. Si elle ne l’avait pas fait, mon existence aurait été fort difficile. Je me suis senti de plus en plus content et j’ai même commencé à me sentir Canadien. Je pensais de moins en moins à l’existence que j’avais abandonnée et ne ressentais finalement que très peu de sensation de manque. La situation a un peu changé depuis, commençant en 2010.
Je suis retourné en France deux fois depuis mon déménagement, pour des vacances d’été en 2006 et 2010. La première fois, je me suis immédiatement senti chez moi. Réentendre le français parlé partout autour de moi m’a réjoui, ainsi que le fait de parler français à longueur de journée avec des amis d’enfance chez qui, ma famille et moi, nous restions. La réintégration a été prompte. Mais en 2010 elle l’a été moins, parce que si j’avais continué à maintenir mon français grâce à mon éducation poursuivie dans l’immersion française, j’avais négligé tout autre contact avec mon côté français. Même au point de vue de la langue, je n’étais pas aussi à l’aise à l’oral que ce que j’aurais voulu, surtout dans la vie de tous les jours.
En conséquence, dès mon retour à Vancouver, je me suis décidé à renouer avec ce côté français de mon identité. C’est ainsi que maintenant je parle français à la maison, que je suis l’actualité française, que j’écoute la musique française.
Ce renouement a eu deux effets. D’un côté, je me suis rendu compte que j’avais encore, sans que je le sache, un vide que m’avait laissé mon déménagement, que le fait de renouer avec mon côté français m’a permis de combler. Donc, je me sens plus content et plus complet maintenant. Toutefois, le deuxième effet a été de me redonner le sentiment de ne pas être vraiment chez moi à Vancouver, et donc l’envie de retourner en France, au moins pour voir si je me sens mieux à Paris ou à Vancouver. Ce dont j’ai peur, c’est que je ne me sente plus véritablement chez moi n’importe où. C’est pour ça que, pour le moment, la réponse à donner à la question débutant ce verbatim est si incertaine.