Voilà une nouvelle qui ravira certainement les fumeurs de Gitanes et peut-être même les fans de Whitney Houston : Gainsbourg est de retour ! Au programme du Vancouver International Film Festival (VIFF), le documentaire Je suis venu vous dire, de Pierre-Henry Salfati, réussit le pari fou de raconter le chanteur par lui-même. Trois ans de recherches et de montages auront été nécessaires au réalisateur français pour assembler plus d’une heure et demie d’images, souvent inédites, et commentées par l’artiste, unique narrateur de sa propre vie. Traînante, éraillée, parfois même chuchotante, la voix off sans pareille du Poinçonneur des Lilas nous entraîne progressivement dans son univers, celui d’un homme qui aimait flirter avec les femmes et les limites de la société. Dans une forme de dualité permanente que montre bien le documentaire, Serge devait selon ses dires « se concentrer sur son être et sur son non-être ; le mec et le showman ». Gainsbourg et Gainsbarre. Une personnalité complexe que le réalisateur a voulu dévoiler en collant à son intimité. « Il s’agissait d’aller chercher des choses qu’on n’a pas l’habitude d’entendre de lui, en dehors des questions toujours posées en interview », expliquait Salfati récemment . Un dessein qui met en lumière la vie de celui qui se rêvait d’abord peintre avant d’enfiler le costume protecteur du poète maudit. Un sur mesure admiré ou détesté qui lui allait, au fond, si bien. « Gainsbourg n’a pas cessé de passer d’un style à l’autre. C’était cette fuite permanente dans des habits toujours différents. La poésie est tout de même restée le fil rouge », commente le réalisateur. Un chemin qu’il a mis du temps avant d’emprunter.
Le déclic Boris Vian
Né à Paris en 1928 de parents juifs russes, Lucien Ginsburg se révélera sur le tard. Professeur de dessin, de chant ou encore surveillant, l’homme enchaîne les petits boulots jusqu’à ses trente ans. Le vague à l’âme, il s’exerce longuement à la peinture et s’imagine volontiers artiste de la Renaissance avant de raccrocher sans grande conviction le pinceau pour le pia-no. Crooner de cabaret, il ne se considère pas vraiment à sa place en exerçant cet art qu’il qualifie de mineur. C’est pourtant dans un de ces lieux qu’une rencontre artistique lui montrera la voie au début des années 50. Humoristiques, décalés et provocateurs, les textes que Boris Vian interprète devant la petite assemblée ce soir-là l’enchantent. « Quand j’ai entendu Vian, je me suis dit merde, il y a peut-être quelque chose à faire là-dedans, c’est intelligent, ce n’est pas un art mineur », nous confie Lucien, qui se faisait déjà appeler Serge avant de se faire un nom. « C’est à partir de là que je me suis mis à écrire », ajoute-t-il.
Des muses pour une gueule cassée
En raison de son physique particulier, le début de carrière de Gainsbourg s’avère compliqué. Comme le révèlent de nombreux passages du documentaire, le chanteur est préoccupé par son image. « Il n’y avait pas à l’époque de chanteur comme moi avec cette gueule destroy. Sur scène, j’étais mort de trouille et j’entendais ah, cette gueule », se souvient-il dans le film. Une situation qui aura fortement conditionné son rapport aux femmes, qu’il laisse rarement indifférentes, lui, le misogyne ti-mide au charme ravageur. « Monsieur Gainsbourg, je ne le connais pas et je ne souhaite pas du tout le connaître dans la vie », déclare la chanteuse Barbara dans des ima-ges d’archives avant de préciser : « Sur scène, c’est un monsieur que j’aime depuis très longtemps. Gainsbourg pour moi, c’est l’élégance, le secret, le silence et la pudeur. » Autant d’adjectifs que l’auteur conjuguera à des passions amoureuses entretenues avec les plus belles, à l’image de Brigitte Bardot, pour qui il écrira en « l’espace d’une nuit » les tubes Je t’aime, moi non plus et Bonnie and Clyde. Et comment ne pas oublier son idylle de dix ans avec Jane Birkin, sa « lolita », sa « gitane » ? Une innocence, une fraîcheur et un accent so british qu’on se plaît à revoir et réentendre dans le documentaire de Salfati.
Traveling avant
Plus de vingt ans après sa mort, que reste-t-il de Gainsbourg ? Des frasques bien sûr, mais surtout l’œuvre imposante d’un artiste qui se définissait lui-même comme une personne talentueuse et non comme un génie. Au fil des minutes et des années, le documentaire suit la longue décrépitude d’un homme dont on comprend progressivement le mécanisme créatif. « Je n’aime pas la stagnation », explique-t-il. « Je voulais des flashforward, pas des flashback. C’est ce qui m’a motivé dans toute ma carrière. » En mêlant la poésie, art qui « n’a pas besoin d’accompagnement musical » avec des mélodies, Gainsbourg s’est inventé son propre style. Un répertoire agrémenté de textes parfois plus légers, érotiques (Les sucettes) ou provocateurs (La Marseillaise version reggae) qui lui auront permis d’accéder au grand public. « J’ai retourné ma veste quand je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison », s’amuse-t-il à préciser. Difficile pour autant de lui reprocher un éventuel manque de sincérité en parcourant ces ima-ges et son état d’esprit : « Il faut livrer son âme. Si on ne le fait pas, on est un faux cul et on ne tient pas la route. »
Gainsbourg by Gainsbourg:
An Intimate Self-Portrait
(Je suis venu vous dire)
27 septembre à 15h
Empire Granville 7
29 septembre à 10h45,
Pacific Cinematheque
6 octobre à 19h30,
Empire Granville 6