Le courtisan

Le courtisan | Photo par Just Jeannette, Flickr

Le courtisan | Photo par Just Jeannette, Flickr

Ce qui suit est une belle histoire d’amour. Je tiens à la partager. Elle réchauffera le cœur de ceux qui en ont besoin. Il faut dire aussi que le printemps y est pour quelque chose.

L’autre jour, je ne sais plus quel jour, durant le congé pascal, il faisait beau. Vraiment beau. Vous vous souvenez? Il n’y a pas si longtemps de cela. Une belle journée de début de printemps. Une journée qui vous donne envie de susurrer des mots d’amour dans le creux de l’oreille de Dame Vancouver. La ville est si belle. Vous n’avez d’yeux que pour elle. Vous voulez vous jeter à ses pieds ou dans ses bras (de mer) et lui déclarer votre flamme. J’ai failli le faire. Seul mon excès de pudeur et surtout ma timidité maladive me l’ont interdit. J’ai, il faut le dire, beaucoup de retenue. Mes parents m’ont bien élevé, dans la décence et l’humilité. S’il vous plaît, ne riez pas.

En fait, je dois le reconnaître, je ne voulais pas m’exposer à l’humiliation d’un refus. Mon psy, que je vois régulièrement tous les cinquante ans, m’avait prévenu : «Depuis que votre mère a refusé de vous allaiter à la naissance, je vous suggère d’éviter, dans la mesure du possible, toute forme de rejet». Jusqu’à ce jour, je suis ce conseil. Mais en cette magnifique journée printanière, je n’ai pu résister. J’ai cédé au charme et à la splendeur de la belle vancouvéroise. Elle m’a subjugué. Elle m’a d’abord pris par la main. Je me suis laissé entraîner. Puis, chemin faisant, elle est entrée dans la confidence. Moi, épris d’elle, dans la danse. Les rôles étaient inversés. Je me laissais guider. Elle m’a alors fait part de ses craintes. M’avouant qu’elle avait été peiné lors de mon exil, pendant quelques années, au Québec. Elle pensait que je l’avais abandonnée et quittée pour de bon. Si je l’avais fait, elle ne m’en aurait pas voulu, m’a-t-elle confié. Elle aurait compris. «Après tout, pendant une bonne partie de l’année, je n’ai pas très bon caractère» me dit-elle en esquissant un joli sourire. Elle a poursuivi «Je suis souvent maussade et ma grisaille ne plaît pas à tout le monde. Elle fait fuir les gens. Je pleure si souvent et mes gouttes de pluie, qui ne sont pas des larmes de crocodile, peuvent, chez mes admirateurs, provoquer de la peine et surtout à mon grand regret, finir par les ombrager. Avec ma déprime, je les opprime. Et je m’en veux. Alors, derrière mes nuages, je me cache». J’ai tenté de la consoler avec quelques mots gentils, du genre «Un petit coin parapluie, c’est un coin de paradis». A ce moment précis, j’ai senti Georges Brassens, du haut de son perchoir céleste, me donner un coup de pied au cul bien mérité.

Dans les ruelles du Downtown Eastside | Photo par Squeaky Marmot, Flickr

Dans les ruelles du Downtown Eastside | Photo par Squeaky Marmot, Flickr

Puis, elle s’est, petit à petit, découverte. Peu à peu, elle m’a dévoilé ses grains de beauté : ses plages, ses parcs, quelques édifices qui méritent l’attention (ils ne sont pas nombreux), mais aussi ses cicatrices : sa pauvreté qu’elle trimbale dans certaines rues du quartier Hastings ainsi que ses horribles buildings conçus à la va-vite, sans âme et qui ne profitent qu’aux spéculateurs. Elle m’a fait comprendre qu’elle n’y était pour rien. Qu’elle était souvent laissée entre les mains d’urbanistes peu talentueux qui la défiguraient. Je devinais, dans sa légère grimace, une gêne qui la rendait, à mes yeux, plus grâcieuse, plus tendre. Je lui ai caressé le dos, de haut en bas, en traversant la rue Broadway. Puis, à son invitation, nous sommes allés dans le West-end pour écouter battre son cœur. Ensuite, en souvenir du bon vieux temps, nous avons été fumer un joint à Kitsilano. Et oui, madame fume, mais ne brûle pas. Lassés, mais non fatigués, nous avons parcourus la rue Main, histoire de nous ravigoter et de découvrir les différentes boutiques d’antiquaires. Enfin, épuisés, nous sommes arrivés à Commercial d’où, à la terrasse d’un café, nous avons admirés une foule bigarrée et exotique.

Cette journée romantique ne pouvait s’achever sans nous rendre à Wreck Beach. Arrivés sur les lieux, elle s’est cachée les yeux. La nudité l’incommode «Que veux-tu, je suis Anglo-saxonne». «Plus pour longtemps» lui ai-je répondu, ricaneur et prophète. Elle a éclaté de rire. Elle a ensuite déposé un baiser sur mon front comme font les papes. Depuis ce jour, je ne sais pas quel jour durant le congé pascal, nous filons le parfait amour.

Et pour finir cette histoire, qui n’en finit pas, je dois dire qu’à mon grand étonnement, à aucun moment, nous n’avons parlé politique. Quel soulagement.