Le héros est synonyme d’invincibilité, d’excellence et de bravoure. Symboles de la culture américaine, sont considérés comme héros des personnages historiques tels que Benjamin Franklin, ou encore les présidents Washington, Jefferson, Roosevelt et Lincoln, immortalisés de façon monumentale au Mémorial national du Mont Rushmore.
L’histoire se mêle au mythe: «l’hommage aux héros est une part vitale de notre patriotisme. Nous avons fait de la dévotion aux héros une religion», explique l’historien Dixton Wecter dans The Hero in America. Mais l’Amérique ne se contente pas des héros historiques, elle les fabrique. Bien qu’issue de la Grèce antique, la figure du héros est très souvent estampillée d’un made in America.
Commun des mortels et culture populaire
Elle reflète les valeurs, les croyances et les doutes de la société américaine. «Deux genres de fiction se démarquent en ce sens et les deux sont des produits de l’Amérique du XXème siècle: les Western et les Super-héros.» rappelle C.W. Marshall, professeur à UBC, spécialisé en littérature classique et culture populaire.
C’est dans une Amérique en crise que les super-héros des comics font leur apparition: Superman, Batman ou encore Captain America sont créés dans les années 1930 et 1940. Le cinéma joue un rôle fondamental dans la fabrique du héros et son culte. Il en a produit pour des générations successives, jouant avec les différents archétypes du héros dont les scénarios sont aujourd’hui usés jusqu’à la corde.
Autrefois demi-dieu et figure aristocratique, le héros est aujourd’hui une figure démocratique, un titre auquel toute personne peut prétendre.
«Au début du XIXème siècle, les écrivains commencent à écrire sur des hommes ordinaires, des roturiers à qui arrivent des évènements hors du commun et dignes de tragédie. Ce fut une révolution et cela a donné le ton au drame moderne, à la télévision aussi bien que dans les films», explique C.W. Marshall.
Le culte de la personne ordinaire est enraciné dans la culture américaine et l’évolution de la figure du héros répond à cet archétype du grand Homme issu du peuple. Tout un chacun peut devenir un héros et «changer le monde».
C’est le message que la chaîne CNN fait passer avec l’émission Heroes. Par exemple, l’un des derniers «héros de la semaine» défend la planète avec l’association qu’il a créée. L’émission promeut un modèle, une figure de moralité. Cette vision démocratise le héros antique et le Grand homme. Toute personne peut endosser ce rôle en accomplissant quelque chose de remarquable pour le bien de la société.
Plus récemment, le cinéma a remis au goût du jour les super-héros qui sont devenus les nouveaux Blockbusters des dix dernières années. Ainsi, la chaîne TNT introduit cette figure dans la télé-réalité. Intitulée The Hero, l’émission, programmée pour l’été, assigne des missions à chaque participant et teste leur morale, leur courage et leur force physique. Le gagnant méritera le titre de héros.
Une figure démultipliée
Ce retour du super-héros va de pair avec sa banalisation et sa mise en récit. Le story telling est massivement utilisé par les médias pour susciter l’attention de l’auditoire : «Quand une histoire est présentée aux informations, seuls les faits pertinents sont donnés, mais la pertinence dépend du point de vue du chroniqueur. Si une histoire devient le sujet d’une émission spéciale, cela élève la personne dont il est question. Les faits sont moins importants en terme d’héroïsme que l’histoire qui est construite autour», explique le professeur.
Cette technique reprend un fait connu dans la littérature : le héros est indissociable du récit. C’est d’ailleurs l’un des sens du mot héros en anglais, qui renvoie au personnage principal, qu’il soit héroïque ou non.
Héros et star peuvent alors se confondre. Le héros du jour, tout comme la star, attire sur soi toute l’attention. On le remarque pour sa performance, à un moment donné, son statut est éphémère. Cette figure est également institutionnalisée en Amérique du Nord dans le monde du travail où le héros personnifie la performance. Il est par exemple l’employé de la semaine.
Le héros au Canada
Le culte moderne du héros s’est exporté dans bien des pays avec la culture populaire américaine, mais chacun d’entre eux a ses sources propres.
C’est sans doute à travers le hockey, sport national, que le Canada se représente la figure du héros moderne. Héros national s’il en est, le joueur de hockey réunit toutes les caractéristiques d’une telle figure. Les armures de protection des joueurs et leurs barbes porte-bonheur qu’ils se laissent pousser lors des finales leur donnent des allures de guerriers et héros antiques. Ainsi Vancouver a ses propres héros, les joueurs des Canucks, et son arène, le Rogers Arena. Héroïsés par leurs performances, les joueurs actuels, tel que le capitaine Henrik Sedin, font les unes des journaux, tandis que les anciennes stars du hockey canadien font partie du panthéon. Des figurines sont crées à leur nom, ou presque: Wayne Gretsky, figure mythique du hockey, devient ainsi «Gretsky le Magnifique».
Chaque milieu, chaque communauté a ses héros comme autant de figures d’identification. «Le même film est adapté pour différents publics», conclut C.W. Marshall. Dans une société multiculturelle tel que le Canada, on est tenté de prêter un héros à chaque communauté. Ils en reflètent la diversité.
Les studios North West, basés à Vancouver, produisent par exemple pour la chaîne de télévision canadienne Aboriginal Peoples un dessin animé dont le personnage principal, Kagagi, est un adolescent autochtone qui se découvre des pouvoirs de super-héros. Seul autochtone au sein de son école secondaire, Kagagi comprendra que ces origines sont une force, ces pouvoirs étant un héritage de ces ancêtres. La production mêle ainsi culture des Premières nations et culture populaire nord-américaine.
Finalement, au-delà des vecteurs nationaux de sa diffusion, l’élargissement de la figure du héros résulte d’un phénomène de démocratisation. Les rôles de chacun ne sont plus prédéterminés, les modèles qui forgent nos identités sont multiples: à chacun son héros.