À l’école, des professeurs et des camarades curieux me demandent parfois : «Quelle langue parles-tu chez toi? L’anglais ou le mandarin?»
Je leur réponds que je parle les deux.
Je me retrouve parfois à parler «chinglais» sans m’en rendre compte. Il s’agit, bien sûr, du mélange de l’anglais et du chinois. Et ça m’arrive plus souvent que je ne le voudrais.
Une fois, j’ai dit à quelqu’un de «fermer la musique» au lieu «d’arrêter la musique». Même si les mots sont anglais, la grammaire reste chinoise. N’ayant pas sa place dans le monde extérieur, et presque pas à la maison, le «chinglais» appartient aux adolescents se retrouvant entre plusieurs cultures, comme moi.
D’après moi, l’usage de plus en plus répandu du «chinglais» reflète la société de plus en plus variée dans laquelle nous vivons.
Il y a quinze ans, alors que mes parents commençaient à apprendre l’anglais, la mère de ma professeure de mathématiques sino-canadienne lui interdisait de parler cantonais. «Sinon, tu n’arriveras pas à améliorer ton anglais,» avertissait sa mère.
Aujourd’hui, les choses ont changé. En discutant avec mes camarades de classe, je me suis rendue compte que la plupart sont bilingues et fiers de faire partie de plusieurs cultures.
«Nous ne sommes plus confrontés au problème de ça ou ça,» explique Mia, une camarade greco-canadienne. «Nous pouvons accepter tout notre héritage à bras ouverts.» C’est aussi mon avis.
Mais ça n’a pas toujours été aussi facile pour moi. À l’école primaire, j’ai appris que le mot «banane» n’était pas seulement utilisé pour décrire un fruit jaune ramolli; c’est aussi un terme péjoratif utilisé pour décrire les Asiatiques qui se comportaient trop «comme des blancs». La plupart du temps, c’était dit pour plaisanter – mais pas toujours.
Selon le ton de la voix et la personne qui le disait, le vrai message pouvait être : tu n’es pas assez asiatique, donc tu n’es pas l’une d’entre nous.
Paradoxalement, les nouveaux immigrants étaient souvent décrits, sur le ton de la moquerie, comme étant «trop asiatiques» et une fois de plus, le message était : tu n’es pas l’un d’entre nous.
J’ai essayé de me défaire de ces deux étiquettes. J’étais bonne élève à l’école en anglais pendant la journée et j’allais à l’école chinoise le soir. J’ai regardé Twilight et Hunger Games avec mes amis, et j’ai lu Le Rêve dans le pavillon rouge – un grand classique de la littérature chinoise – avec ma mère.
J’avais l’impression de profiter du meilleur de chacun de ces mondes. Comment faire mieux?
Je ne l’ai pas compris jusqu’à récemment. La réponse : profiter de mes deux cultures et les apprécier simultanément, et non séparément.
Avant, lorsque mes cousins chinois me demandaient de leur expliquer une blague culturelle qu’ils avaient entendue dans une série télé américaine, je haussais les épaules. «C’est de la culture américaine,» je répondais, «Vous ne comprendriez pas.»
«Peut-être que si, si tu te donnais le mal de l’expliquer,» marmonnaient-ils.
Et ils avaient raison : en séparant les deux parties de ma culture, je passais à côté de l’opportunité de mieux les comprendre et les apprécier. Les différences culturelles ne s’arrêtent pas uniquement aux différences de langue ou de code vestimentaire : elles se manifestent dans la façon de penser et de vivre.
Avant que je ne me penche sur les différences entre le Canada et la Chine, je n’arrivais pas à saisir le concept d’un fossé culturel important. Et donc, je ne me doutais pas qu’au fond, nous sommes tous pareils.
Il y a des années de cela, lorsque Titanic était sur les grands écrans du monde entier, les spectateurs de différents pays riaient à des moments différents. Par contre, tout le monde pleurait au même moment : lorsque le bateau coule et que Jack se sacrifie pour sauver Rose.
Je sais bien que j’ai encore beaucoup de chemin à parcourir avant de pouvoir saisir complètement la culture canadienne ou chinoise. Mais en comprenant que toutes les cultures sont liées, et non séparées, je crois avoir fait un pas dans la bonne direction.
Lors de ma dernière année de primaire, ma mère a décidé de m’emmener à un festival antillais à Vancouver. Malgré ma curiosité, j’étais pleine de doutes ; je n’avais jamais assisté à un festival culturel autre que chinois. D’une nature complexée depuis toujours, je me demandais : serons-nous les seuls Asiatiques ? Serons-nous à notre place ?
Je n’aurais pas pu avoir plus tort. Le festival regroupait des personnes venant de toutes cultures et de toutes origines qui se retrouvaient dans un seul but : célébrer la riche culture antillaise. Au moment de partir, j’étais gavée de poulet à la jamaïcaine et j’étais aux anges.
Vancouver est une ville variée et cela me rend fière d’être vancouvéroise. Mais s’il y a bien une chose plus enrichissante et valorisante que le multiculturalisme, c’est l’interculturalisme. Lorsque les différentes cultures ne font pas que cohabiter, mais échangent et se comprennent.
C’est un bel objectif à atteindre.
Traduction par Coralie Tripier