Ni Hao Ma? Je bafouillais, une troisième fois, la formule de politesse chinoise. Cela veut dire: « Comment allez-vous? » en mandarin. J’étais dans un café de la rue Hornby, accompagné de Jian, une jeune taiwanaise. Elle m’enseignait le mandarin en échange de quelques conversations en anglais. Son niveau linguistique était bien plus élevé que le mien, quasi non-existant, et pourtant elle était aussi nerveuse et confuse que moi. Malgré tout, je répétais ce que Jina venait de m’apprendre : « Ni Hao Ma ? ».
L’apprentissage d’une langue étrangère dépend, plus que tout, de la récurrence. La récurrence avec laquelle on la parle, l’écoute, la lit, et l’écrit. Celle-ci déterminera, plus tard, votre degré de compétence dans la compréhension et l’usage de cette langue.
J’avais remarqué, dans le café, un couple de jeunes chinois qui me regardait discrètement en rigolant. Pourtant, je persévérais : « Ni Hao Ma ? ».
J’ai grandi en ne parlant que l’anglais, mais aujourd’hui, avec un travail dont la clientèle est internationale, je me suis dit qu’apprendre un peu de mandarin ne me ferait aucun mal. J’ai trouvé Jian sur un site d’échange linguistique. Une semaine plus tard, j’apprenais mes premiers mots en chinois.
Ma première leçon m’a appris à demander le nom d’une personne et à donner le mien. J’ai appris à dire « bonjour » et « au revoir ». J’ai été consterné d’apprendre que les Taiwanais disent « hi » et « bye-bye ». Cela ne sonnait pas très chinois. Ça me semblait paresseux. Après avoir insisté, Jian m’appris les formules classiques, moins anglicisées.
J’ai tout noté dans mon carnet, écrivant les mots phonétiquement en anglais et dans le script chinois. J’attendrai de parler un peu plus cou-ramment avant d’entamer l’apprentissage des caractères complexes chinois. J’ai toujours cru qu’un langage est un outil de communication et non quelque chose à mémoriser. J’ai passé cinq années décevantes à apprendre le français au Vancouver School Board, n’en gardant qu’un dégoût pour les langues apprises par les livres. Je me souviens encore d’avoir essayé de communiquer en français lors d’une visite au Québec au terme du secondaire, sans succès. J’avais été un étudiant plus que parfait et je me retrouvais incapable d’acheter un beignet sans devoir le demander en anglais.
Plusieurs semaines écoulées et quelques leçons bien apprises, je me retrouvais à l’épicerie à faire mon marché hebdomadaire. Après avoir vérifié que la caissière venait bel et bien de la Chine continentale, je me décidais à pratiquer mon chinois.
« Ni jiaòshé mo ming ze ? ». Je lui demandais son nom, très fier de moi.
La caissière me regarda un moment, confuse, tentant de comprendre ce que je disais. J’étais immédiatement convaincu que mon accent était pourri. Le doute m’envahit. Je ne pouvais qu’imaginer ce qui lui passait par l’esprit. Mes joues s’enflammaient, alors même que je désespérais qu’elle me comprenne. En mandarin, la plus petite erreur de ton transforme votre mère (Ma) en cheval (Ma) ou en chanvre (Ma).
Mais elle m’avait compris. Nous avons échangé quelques mots, puis je retournais à l’anglais. L’expérience avait été similaire à celle que j’avais eue au Québec, mais cette fois-ci, je me suis senti plus en confiance que dans l’embarras.
De nos jours, nous avons toutes les ressources possibles pour nous lancer corps et âme dans un autre langage. Les salles de classe ne sont plus les seuls lieux d’apprentissage. La radio, la télé, les films sont tous disponibles en ligne. Mais le plus important, il y a les gens eux-mêmes. Ce n’est pas difficile d’apprendre quelques mots à la fois, de parler à quelqu’un, de leur demander comment va leur cheval. Non, je veux dire leur chanvre. Non, leur mère. Demandez-leur comment se porte leur maman.
Traduction Monique Kroeger