Deux poids, deux mesures dans la lutte contre les mariages frauduleux

Mariages Frauduleux

Photos par John Flinchbaugh et Blythe D., Flickr

La lutte contre les mariages frauduleux est à l’agenda de Citoyenneté et Immigration Canada. Mais le statut de résident permanent conditionnel envisagé pénaliserait l’ensemble des immigrants.

« Canadien, je suis pas à la recherche de l’amour, mais je crois qu’aider un étranger à obtenir la citoyenneté canadienne avec tous ses avantages – y compris les soins de santé – doit être en quelque sorte récompensé…  », écrit l’un. « Je suis un gay américain qui n’a que peu de foi dans l’ouverture de mon pays à l’homosexualité… Je cherche à acquérir la citoyenneté d’une société plus tolérante… », renchérit l’autre. Sur ce forum Internet, où plusieurs nationalités parlent, échangent et proposent, le but de la conversation est clair : effectuer un mariage frauduleux afin d’émigrer d’un pays à l’autre.

« Bonjour, je suis un Italien de 21 ans à la recherche d’une Canadienne qui pourrait m’épouser, en échange de la citoyenneté européenne». Une internaute aime. Qui est-elle ? « Je suis canadienne. Si vous êtes américain et intéressé par obtenir la citoyenneté canadienne, faites-le moi savoir. Aussi si vous êtes européen! » L’entente semble toute trouvée.

Les vrais couples ennuyés

Si ce n’est que les Canadiens eux-mêmes sont les victimes de ces mariages frauduleux. Comme le montrent plusieurs cas illustrés l’an dernier par CBC/Radio-Canada, les « arnaques aux mariages » sont fréquentes. Environ mille cas par an sont reportés par le gouvernement. Des ressortissants étrangers, rencontrés sur la toile, à travers des réseaux communautaires ou encore lors de séjours de vacances, se marient puis dupent leurs époux canadiens. La résidence permanente ainsi obtenue, ils sont légalement en mesure de rester au Canada. Un problème d’autant plus délicat que les personnes qui les ont parrainés pour venir sont tenus de rembourser l’aide sociale qu’ils peuvent percevoir, pendant une durée de trois ans. Il est également très difficile de les renvoyer, leur nouveau statut leur permettant de faire appel à plusieurs échelons. A la suite d’une série de consultations publiques, le ministre de l’immigration Jason Kenney a annoncé en novembre la mise-en-place d’ « un réseau d’experts anti-fraudes ».

Audrey Macklin, professeure de droit à l’Université de Toronto explique toutefois que « la répression de la fraude au mariage a contribué à créer deux statuts de personnes. D’une part les false positives, c’est-à-dire ceux qui trichent intentionnellement avec les lois migratoires, de l’autre, les false negatives, des partenaires de vie authentiques qui en subissent directement les conséquences »

Au mois de mars 2011, l’hebdomadaire MacLean’s dres-se le portrait de ces false negatives. Les Charlton, couple anglo-canadien, attendant depuis plus d’un an la résidence permanente de Gemma, anglaise. Comme beaucoup d’autres, ils sont passés par un examen minutieux de la part des « experts ». Photos de la cérémonie de mariage, des voyages effectués, récit détaillé de la relation amoureuse… Parfois même le jour précis de la rencontre avec les parents, les amis.

« Lorsque deux époux de nationalités différentes remplissent un questionnaire à propos de l’authenticité de leur mariage, il leur est demandé si celui-ci n’a pas été contracté pour des motifs migratoires. Certes, les gens se marient le plus souvent par amour, mais aussi parfois pour avoir des enfants, par souci de sécurité financière ou encore pour immigrer d’un pays à l’autre », souligne Audrey Macklin.

Nouveau statut

La tendance est ainsi au durcissement des lois migratoires. Le 26 mars 2011, un avis du gouvernement est publié sur le site de Citoyenneté et Immigration Canada. Il propose « de créer une période de résidence permanente conditionnelle de deux ans ou plus pour les époux, les conjoints de fait et les partenaires conjugaux parrainés dont la relation avec le répondant dure depuis deux ans ou moins ».

Une proposition dénoncée par le Conseil Canadien aux Réfugiés qui pointe « qu’en tout temps, le parrain peut dénoncer la personne parrainée. Ceci peut être une menace constante et une source de peur pour la personne parrainée, qui risque d’être déportée. » L’association a émis au mois d’avril une déclaration signée, entre autres, par la section anglophone d’Amnesty International Canada, la Fédération des femmes du Québec ou encore l’Institut Canadien de la Migration [NDLR : instance qui regroupe les professionnels du conseil en immigration].

Une culpabilité à deux niveaux

Ce projet de résidence permanente conditionnelle renverse en quelque sorte les rôles. L’immigrant nouvellement marié, rarement inquiété, ne pourra plus aussi facilement abuser de son époux canadien, du moins pendant deux ans. Mais pour un millier de cas avérés par an, combien de false negatives, de couples authentiques seront affectés par ce changement ?

Surtout que les mariages frau-duleux ne résultent pas uniquement de la volonté des migrants. Ils sont aussi l’œuvre de personnes vivant au pays, citoyens canadiens ou résidents permanents, monnayant ou négociant leur mariage.

Audrey Macklin précise cependant que ces personnes sont moins répréhendées par les autorités canadiennes. Pourquoi ? « Parce qu’ils votent. Il est toujours plus facile de s’en prendre à des immigrants sans statut qu’à ses propres concitoyens. »