Comme tout bon scénario, la vie de Nikohl Boosheri est faite de rebondissements et de différentes perspectives. Née au Pakistan de parents iraniens, la jeune actrice a d’abord grandi en Ontario avant de déménager à Vancouver où elle a suivi des études de comédienne. Dans le film Circumstance, qui l’a révélé au grand public l’an dernier, elle incarne Atafeh, une jeune iranienne de Téhéran éprise de sa meilleure amie Shireen (Sarah Kazemy). Un regard sur l’homosexualité qui dérange bien évidemment en Iran et avec lequel elle a du composer. Détendue et disponible, Nikohl nous a livré ses impressions sur le film et sa double culture.
Pourquoi avoir accepté de jouer dans un film qui traite de la société iranienne alors que vous avez toujours vécu en Amérique du Nord ?
Le script que j’ai lu était le premier à présenter une histoire iranienne. Ayant grandi en Amérique du Nord, je ne m’identifiais jusqu’alors pas à une iranienne. A l’école primaire, j’étais la seule personne de couleur et j’ai même subi un peu de racisme. Je ne souhaitais pas apparaître comme quelqu’un de différent. Je pensais juste que j’étais canadienne. Beaucoup de choses sont arrivées en 2008 (date du casting) et la Révolution verte est survenue au même moment (en 2009). Quand j’ai lu le script, c’était le calme avant la tempête en Iran et c’est la première fois que je me suis reconnue avec les iraniens. Cela représentait la possibilité pour le public occidental et iranien de découvrir la jeunesse et la culture iranienne. Je me suis beaucoup associée à cela. J’étais très excitée. Il fallait que je m’implique.
Evidemment, le film n’a pas pu être tourné en Iran mais a été fait au Liban. Comment jugez-vous cette expérience ?
Le Liban fut une expérience que je n’oublierai jamais. Je n’étais encore jamais partie de l’Amérique du nord auparavant. Ce fut un choc culturel puisque c’était la première que je me rendais dans un pays ou tout le monde me ressemblait physiquement. Il y avait une base militaire située à Beyrouth. Cela nous a pris quelques semaines avant de nous habituer à ce nouveau monde. Moi qui ne suis jamais allée en Iran, j’ai trouvé que le Liban nous rapprocher de ce pays. Par certains côtés, c’est très ouvert d’esprit mais la répression existe également, si bien qu’il était parfois difficile de filmer certaines scènes. Nous avons cependant pu nouer des liens d’amitié très forts avec la population et les libanais qui ont collaboré à ce film. Si quelqu’un me demandait dans quel pays je souhaiterais aller tout de suite, je répondrais le Liban !
Le film entier est en farsi, langue que vous parlez grâce à vos parents. Avez-vous dû travailler votre accent pour rendre le film plus réaliste ?
Oui ! J’ai travaillé un an sur mon accent. Nous en avions tous besoin car Sarah (Kazemy) a un accent français et Reza (Sixo Safai) un accent américain. Notre professeur de langue vivait avec nous. De cinq heures du matin à minuit nous travaillions sur notre accent. Parfois, elle stoppait la scène pour nous la faire prononcer à nouveau. C’était aussi très important pour la réalisatrice (Maryam Keshavarz) car elle a toujours pensé que la langue était le lien principal avec une autre culture. Il était donc impensable d’avoir un accent.
Les scènes de sexe peuvent choquer certaines personnes, particulièrement en Iran. Avez-vous pensé à la réaction de vos parents et de vos proches ?
Bien sûr qu’en tant qu’iranienne, j’y ai pensé. La chose la plus importante pour moi était de savoir ce que mes parents allaient en penser. Dès le départ, je me suis montré très honnête avec eux et leur réaction m’a vraiment surprise. Ma mère s’est montrée très compréhensive car elle est très ouverte. Elle disait simplement que le film aurait pu être encore meilleur sans les scènes lesbiennes (rires). Quant à mon père, il était très détendu à propos de cela et a pleinement saisi mon métier d’actrice. La plupart de ma famille est au Canada et a vu le film. Ils ont beaucoup apprécié et m’aiment toujours donc tout va bien !
Savez-vous s’il est possible pour les iraniens de voir le film en Iran en dépit de son interdiction ?
Oui je suis certaine qu’ils l’ont déjà trouvé, d’autant que les iraniens sont souvent très doués en informatique. Dès que le film est sorti, nous avons été contactés par des iraniens présents en Iran qui souhaitaient nous féliciter et exprimer leur fierté. Certaines personnes ont même réussi à trouver mes coordonnées pour me le faire savoir.
Circumstance a remporté le prix du public au festival Sundance de 2011 et a connu un grand succès lors du festival du film de Vancouver où beaucoup d’iraniens sont venus vous acclamer. Avez-vous parfois le sentiment de représenter plus qu’une actrice mais un souffle de liberté pour les iraniens à travers le monde ?
Oui, je ressens une responsabilité mais pas seulement envers les iraniens car les gens du monde entier peuvent se retrouver à travers ce film. Beaucoup de personnes, probablement pas toutes homosexuelles, se sont identifiées aux différents personnages. Même une personne peu ouverte d’esprit peut trouver quelque chose dans l’histoire qui va lui donner envie de soutenir les deux jeunes filles. C’est d’ailleurs pour cela que le film a remporté le prix du public au Sundance festival. Ce n’est pas qu’un film exclusivement rattaché à la question iranienne ou en rapport avec le cinéma traditionnel du pays car la réalisatrice avait une perspective à mi chemin entre l’Amérique du nord et de l’Iran.
Peu après l’oscar récemment décerné au film iranien « Une séparation », beaucoup de gens de la communauté ont spontanément laissé exprimer leur joie sur Facebook ou Twitter. Comment expliquez-vous un tel enthousiasme ?
Je pense que les iraniens ont deux personnalités. Nous voulons que l’Iran aille mieux mais tout est très politique. A l’image des Français, les iraniens peuvent se montrer très critiques envers leurs propres compatriotes. Dans d’autres pays, la situation est différente et les gens affichent un soutien sans faille quand quelqu’un représente leur pays. Un film comme Une séparation est différent car il n’heurte pas la sensibilité des gens. Peu importe votre opinion, vous n’avez pas l’impression que le réalisateur souhaite vous donner une leçon de morale. C’est quelque chose à propos de laquelle tous les iraniens peuvent se sentir fiers. Le réalisateur s’est d’ailleurs montré brillant pour être capable d’obtenir le consensus dans un pays marqué par beaucoup de différentes croyances et idéologies. Je ne crois donc pas que ce soit lié aux iraniens en particulier mais plutôt à la nature du film « Une Séparation ».
Est-il facile de grandir dans un pays comme le Canada quand vos parents sont originaires de l’Iran ?
Je pense que vous mettez le doigt sur une chose difficile à la fois pour les gens comme moi qui représentent la première génération de canadiens iraniens mais aussi pour nos parents. En grandissant, j’ai éprouvé beaucoup d’empathie pour eux et ma famille et compris pourquoi ils se montraient parfois si inquiets. Ici, les parents n’ont pas le même contrôle qu’en Iran sur leurs enfants. L’éducation est très importante. Après l’école, je devais rentrer à la maison et faire mes devoirs. Sortir, avoir une vie sociale, se maquiller… toutes ces choses vont à l’encontre des principes que nos parents ont suivi en grandissant. De l’autre côté de l’océan, la façon de vivre et d’élever les enfants est si différente que l’on peut constater une sorte de crise identitaire et se demander si l’on se sent davantage canadien ou iranien.
Allez-vous célébrer Norouz et quels sont vos projets pour cette nouvelle année ?
Je célèbre Norouz chaque année. C’est une merveilleuse fête avec ma famille et l’occasion d’être tous ensemble. Pour l’année à venir, je vais chercher à m’améliorer en tant qu’actrice en continuant à apprendre et à travailler. Je vais probablement prendre des cours de techniques à Vancouver. Aucun film n’est pour le moment prévu, même si beaucoup de choses commencent à arriver. Rien dont je ne puisse parler pour l’instant.