La vérité avait-elle été cachée ?
L’art moderne ne serait peut-être pas l’apanage des artistes occidentaux ? Et s’il était plutôt né au Japon sous l’ère Edo dès le 17e siècle ? C’est cette position qui est examinée dans le documentaire Edo Avant-garde de Linda Hoaglund projeté au Vancouver International Film Festival (VIFF) cette année.
L’art moderne, ou contemporain, a de tout temps vu ses débuts attribués aux artistes occidentaux, dans les années 1870. Mais le monde artistique commence à reconnaître que les artistes japonais de l’ère Edo furent pionniers en la matière, de ce style généralement caractérisé par la simplification et la stylisation. Récemment, le Museum of Modern Art de New-York a reconnu la contribution artistique faite à cette période par les femmes et les cultures non-caucasiennes.
Des artistes jusque-là spoliés de leur poids historique
Linda Hoaglund est née et a grandi dans la province japonaise de Yamaguchi où ses parents étaient missionnaires américains. Sa connaissance du Japon et sa culture lui ont donc naturellement donné sa place dans la réalisation de documentaires de ce genre.
« Comme le dit l’un des collectionneurs interviewés dans le film, il est bien connu que Monet, Van Gogh et d’autres impressionnistes de la fin du 19e siècle étaient très influencés par cette période artistique Edo, qu’ils appelaient « Japonisme », explique -t-elle. « Mais, pendant le 20e siècle, musées et collectionneurs se sont concentrés sur l’art américain et européen, occultant l’impact majeur que l’ère artistique Edo a eu sur l’art moderne ».
Mme Hoaglund a voulu, par son documentaire, redonner aux artistes de cette époque leurs « lettres de noblesse », tout en soulignant leurs contributions.
« Mon souhait est que les spectateurs réexaminent leurs idées sur les concepts de modernité et d’art moderne sous un tropisme européen et qu’ils élargiront leur approche pour inclure la contribution de nombreuses autres cultures » confie-t-elle également.
Quoique baignée dans ce monde japonais depuis tant d’années, c’est lorsqu’elle est tombée sur un paravent japonais grand-format, un byobu, représentant une volée de corbeaux hautement stylisés, que lui est venu le sujet de ce nouveau documentaire.
« J’ai été stupéfaite qu’il fut peint 400 ans plus tôt. » explique-t-elle. « J’ai commencé mes recherches dans les collections en ligne de vingt musées, ce qui représentait 200 000 objets parmi lesquels choisir pour les exposer dans mon film. J’ai choisi de me concentrer sur les byobu représentant la nature ».
Les parallèles avec le point de fuite et de la perspective linéaire de la peinture moderne telle qu’elle est connue dans la culture occidentale sont alors mis à nu.
Dans le courant Edo, le principe fondamental est en revanche la mise en profondeur grâce à la superposition des objets, par exemple des ramifications de branche devant un oiseau créant ainsi l’effet de perspective. Les panneaux développent alors un rythme et une sensibilité inattendus. L’une des raisons de ces dimensions à taille plus qu’humaine est expliquée par le fait qu’en étant entourés de cette manière par la nature, fût-elle en peinture, c’était une manière pour les artistes d’amener la nature à l’intérieur, s’entourer de celle-ci étant au cœur de leurs croyances bouddhistes et zen.
Une cinématographie naturelle
Ce qui saisit très rapidement dans ce documentaire est la capacité à enchainer les plans nature et les moments où la caméra s’attarde sur les peintures qui la représentent, exaltant la minutie de tous les détails et rendant difficile la séparation entre la réalité et la création artistique de ses auteurs. Le spectateur a toute son aise pour étudier chaque coup de crayon, chaque nuance de couleur, chaque choix de placement des éléments et des sujets. Le plan séquence en traveling pour filmer un paravent aux dimensions hors normes donne l’impression d’une expérience immersive remarquable et on ne peut s’empêcher de se projeter dans une maison traditionnelle à contempler et méditer devant ces cerisiers en fleurs et ces vagues qui semblent sortir de leur cadre. La caméra avance et tout d’un coup, les plantes semblent bouger et on devine un effet 3D saisissant, 300 ans avant la réalité virtuelle augmentée dont on nous inonde de nos jours. Autant d’émotions qui ébranlent aussi bien notre raison que notre cœur.
S’il ressort un sentiment de longueurs, l’esthétique propre au byobu avec la nature japonaise dont elle s’inspire et la prise de position pour adresser cette injustice sont les grandes réussites de ce documentaire. Le score musical organique achève la justification de se rendre au VIFF découvrir ce documentaire pour un moment zen et culturel.
Plus d’information sur www.viff.org