Consacré à la défense et à l’illustration de la politique des auteurs (« le plus beau cadeau de la France à l’histoire du cinéma mondial après l’invention des frères Lumière »), FRENCH FRENCH, section française de DOXA, propose depuis 2015 au public de Vancouver et de la Colombie-Britannique une sélection d’oeuvres documentaires significatives projetées en présence de leurs auteurs.
Cette septième édition qui se déroulera du 5 au 15 mai 2022 confrontera les films de Mariana Otero et François Caillat, deux cinéastes documentaires majeurs encore méconnus outre-Atlantique mais qui ont chacun développé avec constance depuis 25 ans une œuvre imposante par sa cohérence et son ambition.
Mariana Otero…
C’est la vision de son bouleversant et magnifique Histoire d’un regard, consacré à l’œuvre tragiquement interrompue du photographe de guerre Gilles Caron, qui a servi de déclencheur à l’évidence d’une rétrospective – une première mondiale.
Formée au cinéma direct des Ateliers Varan, Mariana Otero n’a cessé de représenter les difficultés et les luttes collectives ou personnelles de notre temps, de « gens » qui sont amenés à remettre en question leur manière de vivre ou de travailler et à se penser ou se percevoir autrement, au cours d’autres pratiques.
Ses films sont marqués par un profond humanisme et racontent des histoires qui rendent visible la complexité des situations et des enjeux dans des institutions ou des collectifs – de La Loi du collège – un feuilleton documentaire filmé au long d’une année dans une classe de 4e technique de la banlieue parisienne (qui sera présenté dans une projection spéciale à l’École Jules Verne) – jusqu’à L’Assemblée qui documente les balbutiements d’une nouvelle démocratie au fil des mois d’occupation par Nuit Debout de la Place de la République à Paris, en passant par Entre nos mains, qui raconte comment des salariées découvrent une nouvelle liberté en essayant de transformer leur entreprise de lingerie féminine en coopérative.
Le très émouvant Histoire d’un secret marque un tournant autobiographique dans son œuvre. Mariana y fait à la fois le deuil d’une mère peintre qu’elle a perdue dans sa petite enfance et enquête sur le tabou politique et social des avortements clandestins.
…Francois Caillat…
A l’autre extrême du champ documentaire (car « il y a de nombreuses demeures dans la maison du documentaire »), François Caillat s’intéresse, lui, à la représentation du passé, aux traces, à l’absence, privilégiant la mise en scène et le récit.
Conteur et poète, chasseur de fantômes et diseur de bonne aventure, il tisse avec élégance et avec une légèreté de prestidigitateur des récits imagés et envoûtants.
Si François Caillat sait comme personne user du pouvoir d’évocation et de suggestion des images et des sons (impressions et surimpressions), saisir l’esprit des lieux et porter un regard très aigu sur les personnes et les paysages, les documents et les objets du réel, c’est toujours le romanesque qui prend le dessus dans ses films, à la frontière de l’essai et du documentaire : roman familial (La Quatrième génération, la sienne, d’une famille industrielle prospère en Lorraine); imaginaire national (Trois soldats allemands, en Lorraine de nouveau, qui traverse les trois guerres entre la France et l’Allemagne) ; roman d’adolescence (Une jeunesse amoureuse, « carte du tendre » autobiographique qui revisite les divers quartiers parisiens qui furent le théâtre de ses premières amours).
Son dernier film, Triptyque russe, revient de manière singulière, au travers d’un triple prisme, sur l’histoire héroïco-
tragique du Belomorkanal creusé sur ordre de Staline où périrent 20.000 prisonniers du Goulag.
Les deux auteurs s’apprécient et c’est leur différence dans la pratique du cinéma documentaire qui constituera le thème même de Telling Stories, une classe de maître croisée où Mariana et François présenteront chacun trois extraits de films de l’autre, pour ouvrir une discussion autour de la mise en scène du réel et de l’écriture documentaire aujourd’hui.
Thierry Garrel,
Commissaire invité