Qu’y-a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose, par n’importe quel autre nom sentirait aussi bon ». Cette citation, empruntée à William Shakespeare, le barde dont certaines œuvres, je l’avoue franchement (ou plutôt, « anglaisement »), me barbent, va me servir au cours du propos que je m’apprête à aborder : celui des noms que l’on donne ou que l’on se donne ainsi que ceux avec lesquels on peut jouer sans méchanceté.
L’idée de m’intéresser à ce sujet m’est venue en apprenant la récente démarche du ministre turc des affaires étrangères auprès de l’ONU. Sous forme d’une lettre, M. Mevlut Cavusoglu, au nom de son pays, demandait à la célèbre institution, dont actuellement on peut mettre en doute l’utilité, de changer officiellement le nom de sa patrie. Les Turcs, dorénavant, aimeraient que l’on dise et écrive « Turkiye » et non « Turkey », comme c’est le cas actuellement en anglais. Ils estiment et considèrent que cette appellation leur est préjudiciable et leur manque de respect. Je peux comprendre leur point de vue. En anglais, le nom contient un élément certainement péjoratif et il est du devoir de la part des membres des Nations-Unies de faire preuve de compassion envers les sensibilités turques qui n’en font pas qu’à leur tête.
Malgré cela, il m’est difficile de ne pas me demander comment il se fait que ce soit aux Turcs qu’incombe la responsabilité du changement de nom. La langue anglaise pourrait faire un petit effort et se donner la peine de trouver un autre mot pour désigner cet oiseau que l’on aime sacrifier les jours de l’Action de grâce et de Noël. The turkey pourrait facilement devenir dinde comme on l’appelle si bien en français. Ce ne serait pas, de la part des Anglais, la première fois qu’un tel emprunt à la langue française se ferait. Mais là encore, vous me direz, en Inde ils ne vont pas aimer ça. D’ailleurs je suis surpris que d’Inde personne ne se soit donné la peine de porter plainte. Patience, ça va venir. On ne perd rien pour attendre.
Si en fait cette initiative turque s’avère acceptable il est fort possible que d’autres pays emboîtent le pas. Le Togo ne voit sans doute pas d’un bon œil l’expression, toujours en anglais, utilisée principalement dans les restaurants : for here or to go ?. Ou encore it’s chilly here doit déplaire au Chili. En français, ce genre de bavure a pu être évitée. Afin de prévenir le coup, au Sri Lanka notamment, les autorités, à la va-vite, se sont débarrassées du nom de Ceylan.
Les noms ont donc de l’importance et je ne vois aucune raison de ne pas les changer s’ils ne font pas l’affaire ou s’ils portent préjudice à leurs porteurs. Les peuples des Premières Nations, par exemple, dans leur désir de s’émanciper et de se décoloniser, ont réussi à changer le nom des îles de la Reine-Charlotte par un nom qui leur est propre et de surcroît plus noble, celui de Haïda Gwaii. Nom de toute façon qui convient bien mieux que celui d’une reine du Royaume-Uni, dont, en toute franchise, on n’a cure. Ainsi je ne dis pas non au changement de nom.
De même pour le Parti libéral de la Colombie-Britannique parti à la recherche d’un autre nom, moins identifiable à son homonyme fédéral. Ceci sous l’impulsion de son nouveau chef, Kevin Falcon, qui lui, à priori, ne songe pas à changer d’identité, considérant sans doute que son nom de rapace devrait inspirer les électeurs déçus des pauvres dons d’Horgan, l’actuel premier ministre de la province.
Autant vous le dire : il y a des noms qui me rendent perplexe de par leur complexité. Certains parents méritent parfois d’être traités de tous les noms lorsqu’ils choisissent un nom pour leurs enfants. À l’un d’entre eux, vous le reconnaîtrez, j’adresse cette prière : au nom de l’impair (Elon Musk), du sacrifice (X AE A-XII) et du mauvais état d’esprit, je vous supplie de ne pas choisir pour nom ou prénom, dans le but de satisfaire toutes les tendances sexuelles (au risque de m’y perdre), l’acronyme LGBTQIA2S+ en y ajoutant quelques autres lettres de l’alphabet ainsi que des chiffres à l’infini lorsque viendra le moment de baptiser votre prochaine progéniture.
Que cela plaise ou non, au nom de tous les quidams dont je préfère taire le nom, j’assume ma position. À ce titre, parole du castor castré (au nom duquel je me fais souvent rabrouer), je n’ai pas l’intention de signer cette chronique sous un faux nom.