Réflexion sur les icebergs, les diasporas et l’identité

« Je vois dans les différentes spécificités de l’eau une formidable occasion de réfléchir aux façons d’être et de savoir », déclare Faune Ybarra.

En reprenant le travail de Robert Edwards Holloway, scientifique, photographe et professeur à Saint-Jean de Terre-Neuve sur les paysages et icebergs de Terre-Neuve et du Labrador, l’artiste Faune Ybarra s’intéresse à ce que veut dire « être Canadien » et le lien de chaque personne avec la terre et l’eau qui l’entoure.

Une vue des paysages et icebergs de Terre-Neuve et du Labrador. | Photo de Capture Festival

Exposées du 1er avril 2023 au 29 février 2024 à la station Aberdeen sur la Canada Line du métro de Vancouver, les photos de Faune Ybarra invitent le public à réfléchir à l’identité canadienne, le lien avec la terre et la perpétuelle itération de l’eau.

Point de vue

Le travail de l’artiste-photographe Faune Ybarra présenté à Vancouver fait écho à celui de Robert E. Holloway, Through Newfoundland with the Camera, publié en 1905 à titre posthume. Dans cet imposant album photo, le Britannique parti s’installer à Terre-Neuve capture le paysage de cette province orientale faisant désormais partie du Canada, notamment la glace arctique visible depuis la baie et les nouveaux bâtiments de l’époque.

« Le livre a d’abord été conçu comme une sorte de guide touristique, alternant photographies et publicités pour les trains, la photographie et la chasse », explique Faune Ybarra.

Chaque cliché pris par Robert E. Holloway présente les nouveautés et attraits touristiques de la région, d’un point de vue européen. Et c’est ce dernier point qui intéresse Faune Ybarra.

Faune Ybarra, artiste-photographe | Photo de Capture Festival

Intentions

Née au Mexique, l’artiste est arrivée à Terre-Neuve en 2015 pour étudier les beaux-arts et s’est sentie pour la première fois étrangère dans ce nouvel environnement. Elle remarque qu’ « un appareil photo braqué sur quelqu’un ne capture pas vraiment ce qui se trouve devant lui, mais ce qui se trouve derrière les yeux du photographe – ses intentions ».

Ce que présente Robert E. Holloway est ce qui intéresse ou pourrait intéresser d’autres Britanniques en quête d’aventure à l’époque.

« De même, notre compréhension de l’identité terre-neuvienne et canadienne n’est que le reflet de notions préconçues, car il n’existe pas d’identité unique et cohérente », ajoute-elle.

L’iceberg, l’étendue d’eau et les paysages qu’admirait Robert E. Holloway sont les mêmes que Faune Ybarra a pu observer et étudier, mais les points de vue varient.

« Je pense qu’il n’existe pas d’expérience diasporique unique, mais une multiplicité d’habitations, de deuils, de désapprentissages et de rencontres », avance l’artiste, superposant l’expérience des communautés autochtones, des premières colonies, et des nouveaux arrivants sur l’île de la Tortue.

Confinée dans sa nouvelle résidence de Vancouver pendant la pandémie, Faune Ybarra a cherché
à renouer avec les archives de son prédécesseur, mais aussi de recréer des liens avec son premier foyer canadien, à l’autre bout du pays.

« J’ai pensé à Holloway et à ce livre qui m’a fait espérer un passé auquel j’essaie toujours d’appartenir », raconte la photographe.

Une des photos de l’exposition de Faune Ybarr. | Photo de Capture Festival

Loin du parfum, de l’environnement feutré et des protocoles minutieux des archives du Centre for Newfoundland Studies, à Saint-Jean de Terre-Neuve, Faune Ybarra a recréé à Vancouver des gestes minutieux pour tresser des histoires et établir de nouveaux liens entre une idée nuancée du concept de nation et le besoin d’appartenance des diasporas dans des conditions toujours changeantes, au Canada.

Les gestes lents de l’artiste, cachée sous des draps de lit face à une projection des photos de Robert E. Holloway, deviennent alors un support de réflexion sur le concept de marge, par rapport aux idées prévalentes d’une culture et d’une nation.

La performance créée par l’artiste est immortalisée en clichés photo dans Iceberg Stranded in My Bed et renvoie à ce sentiment lors de l’arrivé de Faune Ybarra au Canada : « En me sentant en marge d’une nouvelle culture, en me sentant culturellement déplacée, j’ai entamé une profonde réflexion sur le langage incarné. Comment un corps peut-il produire du sens lorsque son environnement n’a pas accès à ses codes culturels » ?

C’est en s’attaquant à cet iceberg dans sa chambre, que Faune Ybarra repousse les limites d’une définition étroite de l’identité terre-neuvienne et ouvre le chemin pour des interprétations plus variées et ouvertes de l’identité canadienne.

En pensant aux passagers du Skytrain passant par la station Aberdeen qui auront l’occasion de voir ses oeuvres, Faune Ybarra conclut : « J’espère que les gens s’interrogeront sur ces mêmes catégories – culture, identité canadienne, représentation et immigration – avec un esprit ouvert et de la compassion. Il n’y a pas d’histoire d’immigrant unique ; il y a tant de beauté dans la nuance ».

Pour plus d’informations sur l’exposition Iceberg stranded in my bed, visitez : www.richmondartgallery.org/icebergstranded