Réparations historiques auprès de la communauté doukhobor de la C.-B.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a présenté ses excuses pour les torts historiques causés aux Fils de la liberté doukhobors, notamment des amendes, des saisies de biens et le retrait forcé des enfants de leurs familles. Ces excuses sont accompagnées d’une indemnisation de 10 millions de dollars visant à la réconciliation et à la reconnaissance des actions passées. Rappelons que l’opération Snatch, conduite par le gouvernement canadien a mené à l’internement de 200 enfants à New Denver entre 1953 et 1959.

Marie-Paule Berthiaume
IJL – Réseau.Presse – Journal La Source

La descendance des Fils de la liberté doukhobors a accepté les excuses officielles présentées par la Colombie-Britannique à Castlegar le 1er février 2024, un moment d’avancées historiques vers la réconciliation. Les fonds alloués visent la création de divers programmes communautaires, la préservation du patrimoine culturel et l’archivage de documents vitaux et d’histoires orales, ainsi que l’élargissement de l’accès à des services de santé mentale et programmes de bien-être.

Les Doukhobors : un groupe pacifiste rejetant l’usage des armes

Les Doukhobors, un groupe chrétien persécuté en Russie pour son refus de prendre les armes sous le régime tsariste, trouvent refuge au Canada en 1898. Associés à des principes de pacifisme, d’esprit communautaire, de simplicité volontaire, ils pratiquent la foi intérieure et renoncent à toute demande du gouvernement civil qui contrevienne aux règles/lois de Dieu et aux Dix commandements.

Lorraine Saliken au micro: son père a été enlevé à Grand Forks et sa mère, à Shore Acres. Ils lui ont appris à conclure toute conversation avec ses proches, au téléphone ou en personne, en disant «je t’aime». | Crédit : Lorraine Saliken

Toutefois, un sous-groupe, Les Fils de la liberté, se manifeste en 1902, d’abord en Saskatchewan avant de s’installer dans les districts de Kootenay et Boundary de la C.-B. Émergeant de la communauté doukhobor, il dérange alors l’ordre social établi en revendiquant notamment le contrôle de l’éducation de leurs enfants, en demandant des écoles privées, comme l’avaient fait d’autres groupes confessionnels à l’époque.

Lorraine Saliken, élevée à Krestova dans le New Settlement, porte en elle le récit poignant de la lutte de ses grands-parents, qui ne voulaient pas s’associer à l’éducation scolaire du Canada d’alors qu’ils jugeaient militariste. « La génération de mes grands-parents a certainement contribué à l’adoption du modèle scolaire de l’école à la maison au Canada, tout cela à leur détriment », conclut la cinquantenaire Lorraine Saliken, qui a fréquenté l’école publique.

Ses parents et son oncle, aujourd’hui décédés, ont tous été internés à New Denver; dont son père pendant six ans. « Mon père ne parlait pas de New Denver, à part du fait qu’il y avait terriblement souffert de la faim. Je suppose qu’il était traumatisé d’avoir quitté ses parents si jeune pour finalement les retrouver à l’âge de 12 ans… », avance-t-elle, ajoutant que sa mère y a été victime d’une crise d’appendicite pour être enfin emmenée d’urgence à l’hôpital Nelson, d’où elle ne voulait pas partir, vu qu’on y prenait soin d’elle.

Reconnaître le traumatisme intergénérationnel

Lorraine Saliken ainsi que le duo mère-fille Lunya et Laura Savinkoff de Grand Forks s’accordent toutes sur la présence d’un traumatisme parmi la descendance des Fils de la liberté doukhobors, lié à différents niveaux de troubles associés au stress post-traumatique.

Laura Savinkoff relie la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies aux croyances doukhobors. | Crédit: Laura Savinkoff

« Mon père a été interné de 1956 à 1959 », confie Lunya Savinkoff. « Il s’est caché dans la forêt à partir de l’âge de six ans avec ses deux cousins pour être finalement attrapé, deux ans plus tard », relate-t-elle.

Le poids d’infamie associé aux actions des Fils de la Liberté doukhobors pèse aussi lourdement sur Lunya Savinkoff, dont le père a été impliqué dans des actes de résistance. « Il y avait constamment des gens chez nous en train de prendre un café. Des journalistes, des détectives nous visitaient régulièrement. Nous avions des dispositifs d’écoute dans nos murs, nos téléphones étaient sur écoute », énumère celle qui craint la police et rêve d’un monde meilleur.

Vers 1958,  son père, Peter Savinkoff et sa mère, Lucy Savinkoff. «En grandissant, cette photo m’a toujours ému», indique Lunya Savinkoff. | Courtoisie de Lunya Savinkoff

À la sauvegarde de l’héritage doukhobor

La transmission orale de l’héritage doukhobor s’effectue par le biais des hymnes et des récits. Alors que la langue russe se perd chez les jeunes générations, les aînés s’efforcent de transmettre l’histoire qui reste sous forme écrite, traduite en anglais.

C’est dans cet esprit que Laura Savinkoff, membre de la communauté des Fils de la liberté doukhobors « ayant de la famille dans tous les autres groupes de Doukhobors », travaille à recueillir et retranscrire les témoignages de 200 personnes qui ont vécu de près ou de loin ces événements.

« Je suis co-auteure avec Janet Mancini Billson d’un livre intitulé The People of Peace, qui retranscrit les récits des expériences vécues et des conceptions des Doukhobors et des non-Doukhobors du district régional de Kootenay/Boundary. Cet ouvrage sera publié cette année. »

Pour en savoir plus : https://bcombudsperson.ca/assets/media/RightingTheWrong-SpecialReport-53_web.pdf

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