Y a-t-il lieu de s’interroger aujourd’hui sur le travail à distance ?

« Travailler autrement » le film de l’Office National du Film, réalisé par Julien Capraro, cinéaste vancouvérois, met en lumière l’importance du télétravail, particulièrement accentué pendant la pandémie.  Après son lancement à la fin février, ce documentaire fait toujours parler de lui pour les nombreuses questions qu’il soulève, mais aussi pour l’engouement insoupçonné de la population pour le travail à distance qui perdure encore aujourd’hui.

Marc Béliveau – IJL – Réseau.Presse – Journal La Source 

Établi sur la côte Ouest depuis plus d’une dizaine d’années, le cinéaste Julien Capraro ne soupçonnait pas l’heureuse intuition qu’il a eue, le jour où il a décidé de réaliser un court-métrage sur le télétravail. Prévu initialement pour une durée de cinq minutes, son projet intitulé « Travailler autrement » allait s’allonger à 50 minutes. Son sujet de prédilection allait soulever tellement d’enjeux de société, qu’il a dû, dès le début, limiter le sujet à l’essentiel, si l’on peut dire. 

Julien Capraro, réalisateur du film | Crédit: ONF

L’essentiel, c’est une série de questionnements par le biais d’une trentaine d’intervenants où chacun tente d’analyser certaines facettes et l’impact d’une réorganisation du travail au sein de la société. Et il aura fallu une pandémie pour permettre aux gens d’expérimenter massivement le travail à distance, à partir de leur domicile. Et surtout, d’y prendre goût.

Julien Capraro souligne que « cette forme de travail n’est pas pour tout le monde, et vouloir l’imposer serait sans doute une erreur ».  Cependant, l’idée du télétravail n’est pas nouvelle et circule depuis les années 1970. L’un des chantres de ce type d’activités se nomme Jack Nilles, un ancien ingénieur de la NASA.  

Dans le documentaire, Jack Nilles expose sa logique de l’époque en posant la question : « Faut-il absolument se rendre au bureau en voiture, pour ensuite y faire des téléphones à partir de son bureau ? N’est-t-il pas plus logique de faire ces téléphones de la maison ? »  Aujourd’hui, ce visionnaire, résidant de la Californie, se préoccupe tout autant des effets des changements climatiques, et l’usage des automobiles qui y contribue. 

Un échantillon d’opinions variées 

Il semble que le télétravail ne laisse personne indifférent. Ce documentaire nous en donne un aperçu.  Bien des employeurs s’inquiètent du maintien du taux de productivité de leurs employés. C’est une question capitale pour eux, mais il y voit aussi une baisse du taux d’absentéisme et des retards de leurs employés.  L’un des enjeux étant de faire confiance et de se fier à l’intégrité de leurs employés, en leur permettant de travailler sans supervision.

Pour les gestionnaires habitués à la supervision visuelle de leurs employés, dans un environnement de travail de 9 à 5, ils doivent s’ajuster à ce nouveau mode de fonctionnement, même s’ils peuvent y trouver une dévalorisation de leur travail.Ces mêmes gestionnaires doivent mieux identifier leurs objectifs et leurs résultats, plutôt que d’imposer une façon d’y arriver. « Au-delà de 40 ans, dit-on dans ce documentaire, peu de gestionnaires changent d’avis, démontrant ainsi que la résistance au changement est bien réelle ».  

Quant aux employés, eux-mêmes en télétravail, ils sont heureux d’utiliser leur temps plus efficacement. Il y a d’une part, l’élimination du stress et de la fatigue grâce à la suppression des trajets, et d’autre part, plus de responsabilisation, de liberté et de bien-être des salariés. En revanche, il faut bien gérer la proximité entre lieux de travail et lieux d’habitation familiale.

Tania Saba, professeure titulaire de la Chaire BMO en diversité et gouvernance, Université de Montréal | Crédit: ONF

Certains intervenants craignent le « miroir aux alouettes » du télétravail, alléguant la précarisation du travail et les inégalités sociales qui s’y développent. 

Le documentaire nous apprend aussi des informations inédites : « Statistiques Canada avait déjà montré que la capacité de travail autour de l’économie canadienne se situe autour de 40 % des postes pouvant se faire à distance, dont 60 % dans le secteur public », affirme Tania Saba, professeure titulaire de la chaire BMO en biodiversité et gouvernance à l’Université de Montréal.  « Avant la pandémie, dit-elle, on ne s’attendait pas à un tel engouement pour le télétravail ».

Procéder à une analyse des avantages et des inconvénients du télétravail reste à faire, considérant aussi que les changements technologiques sont plus rapides que l’évolution de l’organisation du travail. À cela s’ajoutent d’autres volets sociaux importants, tels l’impact du télétravail sur le milieu urbain et le marché immobilier. Et plus encore, le manque de lien et l’isolement ressenti par certains employés vis-à-vis de leur lieu de travail, leur sentiment d’appartenance envers leur employeur et la culture de l’entreprise.

En revanche, l’autonomie dans la planification et dans les horaires de travail favorise une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. Aujourd’hui, l’adoption de formule hybride du travail renforce la confiance et l’attractivité des entreprises souhaitant recruter de jeunes employés. 

Depuis la projection du film « Travailler autrement » en première canadienne le 28 février 2024 au Rendez-vous Québec Cinéma à Montréal et le lendemain, à Vancouver dans le cadre des 30Rendez-vous du cinéma québécois et francophone de Visions Ouest Productions, Julien Capraro sait aujourd’hui qu’il ne pourra se limiter à un court-métrage de cinq minutes s’il devait pousser plus loin sa réflexion et l’ouvrir davantage sur les relations entre le travail, la ville et l’urbanisme. À suivre.

Pour information :  https://www.onf.ca/film/travailler-autrement/

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