Le film « Mon Père, le Diable » laisse une impression durable sur le spectateur

Écrit et réalisé par l’artiste camerounaise Ellie Foumbie, le film Mon Père, le Diable a ouvert la troisième édition du Vancouver International Black Film Festival en décembre dernier. Subtil et poignant, ce thriller psychologique aborde des questions douloureuses avec délicatesse.

Mon Père, le Diable est le premier long métrage d’Ellie Foumbie : l’artiste a fait ses premières armes au cinéma en tant qu’actrice avant de passer derrière la caméra. Présenté en avant-première au prestigieux Festival international du film de Venise l’année dernière, le film a depuis accumulé les nominations et les projections dans plusieurs festivals, dont le Vancouver International Black Film Festival, qui met en lumière les talents des actrices et acteurs noirs du Canada et d’ailleurs.

Scène du film Mon Père, le Diable. | Photo de Vancouver International Black Film Festival

Les cicatrices du passé

Le film est centré autour du personnage de Marie, une réfugiée africaine interprétée avec brio par l’actrice belge Babetida Sadjo. Figure énigmatique et solitaire, Marie travaille comme cuisinière dans la maison de retraite d’une petite ville tranquille du sud de la France. Si les raisons de sa fuite vers l’Europe ne nous sont d’abord pas explicitement dévoilées, plusieurs indices laissent deviner une enfance déchirée par la violence et la guerre. À sa manière subtile, le film brosse le portrait en demi-teintes d’une jeune femme profondément traumatisée, qui cache sa fragilité sous l’apparence d’une maîtrise de soi absolue. Très lente et presque étouffante, la première partie du film instaure une tension sourde, annonciatrice du chaos à venir.

C’est dans cet environnement paisible que fait soudain irruption une figure du passé de Marie, sous les traits du très charismatique père Patrick (Souleymane Sy Savané). Fraîchement arrivé de RDC, le prêtre catholique vient s’installer dans la communauté, faisant voler en éclats la vie péniblement reconstruite de Marie. Le nouveau venu parvient immédiatement à charmer l’entourage de la cuisinière, au grand dam de cette dernière qui croit reconnaître en lui le chef de guerre qui l’a enlevée enfant. Prise de court par cette apparition inattendue, Marie cède à la panique et cherche à confirmer ses soupçons par tous les moyens. Commence alors un jeu mortel du chat et de la souris, où les rôles ne cessent de s’inverser dans une escalade de violence. En dépit de la gravité des thèmes abordés, le film demeure très sobre, suggérant plus qu’il ne montre la brutalité omniprésente. Ici, pas de scènes d’action haletantes ou de sensationnalisme cru : l’œuvre demeure avant tout une exploration intimiste du psychisme de ses personnages.

Une quête de rédemption éperdue

Si l’on peut déplorer la qualité parfois inégale du jeu d’acteur et un dénouement quelque peu hâtif, le film se démarque par des visuels d’une grande beauté. Admirablement travaillée, la lumière joue un rôle central, et les scènes baignent dans un clair-obscur constant, qui cache plus qu’il ne dévoile. En dépit de fortes contraintes budgétaires, le nombre limité d’acteurs et de décors se laisse rapidement oublier, créant une atmosphère immersive et oppressante. Mais le film brille avant tout par son traitement nuancé de sujets pourtant infiniment complexes et rarement abordés au cinéma.

Mon Père, le Diable est loin d’être le premier film à traiter des enfants-soldats et des traumatismes engendrés par la guerre. Cependant, il s’éloigne des clichés attendus pour adopter une perspective unique, mettant en lumière des questions épineuses telles que le passage des anciens combattants à l’âge adulte ou leur impossible réadaptation à une vie normale. À la fois coupables et victimes, Patrick et Marie cherchent chacun à leur manière une forme de rupture avec leur passé. Dans le même mouvement de fuite, tous deux ont tenté de reconstruire leur vie dans un nouveau pays et de se libérer de la culpabilité qui les étouffe. Mais ni Marie, incapable de supporter son propre reflet, ni Patrick, qui s’abîme dans la foi pour y trouver la paix intérieure, ne parviennent à se soustraire totalement aux conséquences de leurs actes.

C’est là toute la puissance de l’œuvre : sans jamais prendre parti, elle invite à une réflexion en profondeur sur la question de la rédemption, du traumatisme et de la culpabilité. Existe-t-il des crimes dont la gravité exclut à jamais la possibilité du pardon ? À quel point sommes-nous responsables des actes commis alors que nous étions enfants? Le film nous apporte tout au plus un début de réponse : mais sous ses airs de rédemption, la fin douce-amère se dérobe à toute conclusion définitive. Mon Père, le Diable est un film d’une humanité et d’une sensibilité rares, qui laisse une impression durable sur le spectateur.