Perdre la voie

Si la tendance se poursuit et si les sondages ne se trompent pas, ce qui est toujours possible quoiqu’improbable, Justin Trudeau et son gouvernement n’en ont plus pour longtemps. Leur règne et leurs rêves sont au bord du trépas. Nous assistons penauds, consternés, désemparés, en considérant l’alternative, aux derniers moments d’un gouvernement qui perd ses repères et qui n’arrive pas à distinguer quels saints sont malsains. En fait les libéraux ont jusqu’au mois d’octobre 2025 pour redresser la barre et changer de cap à condition bien sûr qu’entre temps les néodémocrates ne leur fassent pas faux bond.

Si j’étais cinéaste, j’aimerais présenter, à la prochaine distribution des Oscars, un film intitulé Anatomie d’une chute…regrettable. Ce film raconterait le lent et progressif déclin en popularité de Justin Trudeau depuis son avènement en novembre 2015.

Que d’eau trouble a bien pu couler sous les ponts du canal Rideau à Ottawa depuis l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau. Que d’espoir et de rêves brisés. Suite à la défaite de Stephen Harper nous étions en droit d’exiger mieux. Une bouffée d’air s’imposait. Nous y avons cru. Souvenez-vous.

Parti sur les chapeaux de roues, armé de bonnes intentions, avec pour promesse « la voie ensoleillée », notre cher Justin, notre actuel premier ministre, a tenté de confronter, avec peu de succès semble-t-il, les quelques orages et tsunamis politiques qui se présentaient sur son chemin.

(Petit rappel : « La voie ensoleillée » provient d’une expression d’abord utilisée par Sir Wilfrid Laurier, l’ancien premier ministre du Canada, qui lui-même au cours d’un discours tenu le 8 octobre 1895, s’inspira d’une fable d’Ésope qui mettait aux prises le soleil et le vent. De nos jours, de toute évidence, 130 ans plus tard, cette « voie ensoleillée » a perdu de son lustre).

Justin Trudeau | Photo de l’Institut Broadbent

Cette voie pas du tout lactée qui, au départ, promettait monts et merveilles, a dû faire face, d’un mandat à l’autre, à quelques obstacles non prévus au programme. Quelques-uns étaient évitables : le voyage en Inde du premier ministre qui nous a prouvé que, contrairement à ce qu’on puisse croire, le ridicule peut parfois vous tuer politiquement. Mais aussi, ne pas oublier, histoire de vous rafraichir la mémoire, les jolies colonies de vacances aux Bahamas à l’invitation de l’Aga Khan qui ont mis en évidence le manque de jugement de notre premier ministre. À ceci, ajoutez les crises avec l’Inde et la Chine et j’en passe. Ce ne sont pas les bévues et déboires qui manquent. D’autres embûches par contre étaient imprévisibles : la crise de la COVID-19 notamment. Une pandémie qui nous est tombée dessus comme un virus dans la soupe, et ne pas oublier non plus les années Trump qui nous ont causé pas mal de soucis.

D’après le dernier sondage de Nanos commandité par le Globe and Mail (9 mars 2024), moins d’une personne interrogée sur 20 seulement voit en Justin Trudeau le billet gagnant. C’est bien peu et guère prometteur. Ce même sondage fait part d’un mauvais choix des priorités gouvernementales. Plutôt que de s’occuper de questions d’équité, de diversité ou autres du genre, Trudeau et Cie feraient mieux de s’intéresser aux problèmes économiques par lesquels nous passons, nous fait valoir ce même sondage.

Justin Trudeau joue peut-être avec le feu. En restant au pouvoir coûte que coûte, le premier ministre risque d’entraîner les libéraux dans sa déroute. Ce n’est pas sans me rappeler la fin de régime de l’ancien premier ministre du Canada Brian Mulroney (1984 à 1993) dont on vient d’apprendre la disparition, qui, face à un mécontentement général, finit par céder sa place cinq mois avant les élections générales de 1993 à madame Kim Campbell, la première et seule femme devenue première ministre du Canada. Résultat ? Un véritable désastre. Une hécatombe. Une défaite sans précédent. Le Parti progressiste-conservateur du Canada n’obtint que deux sièges et prit des années à s’en remettre.

Les libéraux avec Justin Trudeau à la barre peuvent-ils s’attendre à pareil sort ? Peut-être pas d’une façon aussi sévère mais un échec certain paraît inévitable. Justin Trudeau doit-il pour autant jeter l’éponge ? Cette possibilité semble concevable, et pour certains souhaitable. Cette éventualité toutefois, avec un nouveau chef, ne garantit pas nécessairement une victoire aux prochaines élections fédérales. Madame Campbell en sait quelque chose. Mais, comme le veut le dicton, tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir. Ce à quoi Sénèque, le philosophe et dramaturge romain, pourrait répondre : « C’est quand on n’a plus d’espoir qu’il ne faut désespérer de rien ».

Justin doit encore croire en ses chances. Si c’est le cas il ferait bien de commencer à mettre la main à la pâte et changer d’orientation s’il désire mettre fin au déclin.

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