Dans son dernier livre Tell Everyone: Why We Share and Why it Matters, le journaliste et professeur à UBC, Alfred Hermida, analyse la mutation engendrée par les médias sociaux dans nos vies et ses incidences pour les professionnels de l’information. Devons-nous nous en réjouir ou la déplorer? Pourrions-nous nous passer de ces nouveaux outils de communication? L’auteur a répondu à nos questions.
La Source : Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
Alfred Hermida : Ma motivation était de montrer combien les médias sociaux ont changé nos modes de vie et notre manière de communiquer. S’ils sont faciles à utiliser, ils se révèlent aussi complexes. Ils nous amènent à nous demander ce que nous donnons à voir de nous même, quelle image personnelle ou professionnelle nous renvoyons sur le net, qui a accès à nos informations, comment nous interprétons celles qu’on nous envoie. Ils remettent en cause les questions de confidentialité et de vie privée. J’ai pensé ce livre comme un guide pour mieux comprendre et appréhender ces évolutions.
L.S. : L’essor des médias sociaux a-t-il été une révolution ?
A.H. : Nous pouvons le voir comme ça. Les médias sociaux ont transformé notre société. Quelques exemples : grâce à eux, nous avons trouvé un nouveau moyen de lever des fonds pour une bonne cause, on l’a vu récemment avec le défi du seau glacé ; ils représentent aussi une force pour les contestataires, on l’observe en ce moment avec ce qui se passe à Hong-Kong.
« Les médias sociaux peuvent être une arme nocive »
L.S. : Tous ces changements que permettent les nouvelles technologies sont-ils une bonne ou une mauvaise chose ?
A.H. : Là n’est pas la question. Le problème s’est posé de la même façon avec les voitures. Nul ne saurait dire si elles sont une bonne ou une mauvaise chose. D’un côté, elles permettent de nous déplacer plus vite; de l’autre, elles polluent et ont engendré de nouvelles difficultés telles que les embouteillages ou les accidents de la route. Il en va de même pour les armes à feu. Certains s’en servent pour se protéger, d’autres pour tuer. Les médias sociaux peuvent être une arme nocive. Par leur intermédiaire, il est facile de lancer une vaste campagne de dénigrement à l’encontre de quelqu’un. Cependant, ils ont aussi été à l’origine de grandes avancées. Ils ont rassemblé des peuples. On l’a constaté en Égypte ou en Tunisie ces dernières années. Plutôt que de trancher, il vaut mieux prendre en compte les conséquences. Tout dépend de la manière dont nous utilisons nos machines. Les médias sociaux ne sont ni bons ni mauvais, et ils ne sont pas neutres non plus.
L.S. : Pouvons-nous avoir confiance dans les médias sociaux ?
A.H. : À cela, je vous répondrai par une autre question : pouvons-nous faire confiance aux médias en général ? L’histoire nous a montré que ce n’était pas toujours possible. Les journalistes font des erreurs. Comme pour notre rapport aux médias, ce qu’il faut, concernant les médias sociaux, c’est en devenir des consommateurs intelligents. Les médias sociaux sont entrés dans nos vies. Ils font partie de notre existence. Et ce n’est pas tant parce que nous aimons Facebook ou Twitter, mais plutôt parce que, plus que tout, nous aimons rester en contact les uns avec les autres. Nous aimons être sociables ; nous sommes des animaux sociaux.
« Un outil, une source parmi tant d’autres »
L.S. : Les nouvelles technologies ont modifié la manière de travailler des journalistes. La plupart s’y réfèrent aujourd’hui…
A.H. : Les médias sociaux sont devenus incontournables. Les médias ont pour obligation d’en parler. Ce serait une erreur de fermer les yeux sur le pouvoir des médias sociaux aujourd’hui. Les journalistes doivent cependant se montrer prudents. De fausses informations circulent sur le net, des faux comptes d’utilisateurs existent. Tous les éléments repris doivent être vérifiés et interprétés comme n’importe quelle autre information. Il ne s’agit pas de diaboliser les médias sociaux. Ils ne sont qu’un outil, une source aussi, parmi tant d’autres.
L.S. : N’importe qui de nos jours peut diffuser de l’information. Avons-nous encore besoin des journalistes ou est-ce le début de la fin de cette profession?
A.H. : Les médias sociaux ont bouleversé notre rapport aux nouvelles, c’est certain. Elles ne sont plus un produit qu’on consomme le matin dans les journaux ou le soir à la télé. On a plongé dans l’ère de l’instantanéité. On découvre les événements au moment où ils se produisent. Pour autant, nous avons besoin d’observateurs qui prennent le recul nécessaire pour décortiquer ces flots d’informations, pour nous expliquer le sens des nouvelles et en quoi elles sont importantes, pour nous les replacer dans leur contexte. Tel est le rôle désormais des journalistes. On n’attend plus d’eux qu’ils nous apprennent ce qui s’est passé la veille, puisqu’on le sait déjà. Je suis confiant, les journalistes ont encore leur place dans notre société.