Les langues me passionnent. J’ai étudié la littérature anglaise à l’université et je l’ai enseigné aussi, à un Cégep Montréalais; en plus, j’ai travaillé comme enseignant d’anglais langue seconde, à Montréal et également ici à Vancouver, où je réside depuis maintenant six mois; enfin, quand je ne suis pas en train d’étudier ou d’enseigner l’anglais, il y a fort à parier que je passe mon temps à lire un roman de Michel Tremblay, à écouter un match de hockey Canadien de Montréal, ou à essayer d’entreprendre une conversation avec des francophones – l’objectif de toutes ces activités étant d’améliorer mes compétences dans ma langue seconde à moi, le français.
Mon premier contact avec le bilinguisme français-anglais a eu lieu dès mon enfance. Né à Montréal en 1979, j’ai entendu et parlé l’anglais chez moi mais quand est venu le temps d’aller à l’école, mes parents m’ont inscrit dans un programme d’immersion française. Cette expérience m’a permis d’apprendre cette nouvelle langue rapidement et, à l’âge de 10 ans, quand ma famille s’est relocalisée de Montréal à une petite ville du sud-ouest de l’Ontario, mon français était excellent.
Malheureusement, en Ontario je n’ai pas pu maintenir le niveau de français que j’avais acquis à l’école primaire. Lorsque je suis retourné à Montréal, 12 ans après l’avoir quittée, j’ai été déçu de constater que j’étais à peine en mesure de soutenir une conversation avec le chauffeur de taxi qui m’avait conduit de la gare à mon nouvel appartement. C’est ce jour-là, je suppose, qu’a débuté mon ré-apprentissage du français, processus parfois ardu, souvent agréable, peu structuré, qui dure maintenant depuis 10 ans.
De Montréal j’ai déménagé à Vancouver l’été dernier avec mon épouse, qui fait un internat en médecine générale à UBC. Je m’attendais à ce que les occasions de pratiquer mon français ici à Vancouver soient rares, ce qui s’est en général avéré être le cas. Ce n’est pas surprenant: ici ce n’est pas le français que l’on voit sur les affiches publicitaires et les panneaux de signalisation, ce n’est pas non plus la langue que l’on s’attend à entendre et à parler dans les restaurants, les commerces, et les cafés. Bien sûr, la culture francophone n’est pas absente, la communauté francophone de Vancouver, bien que petite, est très active et bien-organisée, mais disons qu’il faut la chercher plus activement ici qu’au Québec.
Cela dit, je trouve que d’une autre façon, il est plus facile pour moi de pratiquer mon français ici qu’à Montréal. Quand je parle en français à des Montréalais que je ne connais pas, il m’arrive assez souvent de ressentir une sorte d’anxiété politico-linguistique. On dirait que je crains que si je fais une faute de prononciation ou que je confonds le genre d’un nom, je vais infliger une blessure mortelle aux relations franco-anglophones du Canada. Ou pire encore, que mon interlocuteur va se lasser de mon français approximatif et, en poussant un soupir résigné, redémarrer la conversation… en anglais.
Pour rendre justice aux francophones de Montréal, ceux que j’ai croisés étaient admirablement chaleureux et dignes, l’anxiété que je décris est une conséquence non seulement des tensions linguistiques à Montréal mais aussi de ma propre nervosité. Et s’ils passaient du français à l’anglais au cours de la conversation, c’était pour être arrangeant.
Les vancouvérois anglophones que j’ai connus depuis mon arrivée ici il y a six mois, ont l’air de considérer le français de la même façon que je considère l’espagnol, langue dont j’ai appris quelques notions de base avant de partir en vacances en Espagne, il y a quelques années. « Apprendre l’espagnol, c’est le fun! » je me disais, en lisant mon manuel de débutant dans mon appartement du Plateau Mont-Royal, «et ça ne crée pas d’angoisses politiques !»
J’ai l’impression que les vancouvérois non francophones qui s’intéressent au français le font avec une innocence semblable, et qu’en étudiant cette langue, ils ne pensent pas au dernier référendum sur la souveraineté du Québec mais rêvent plutôt de pouvoir écouter Amélie Poulain sans sous-titres ou de commander une crème brûlée dans un café parisien.
Ayant passé beaucoup de temps à enseigner l’anglais et à étudier le français, je suis conscient de la persévérance, de l’assiduité, et du dévouement qu’il faut pour apprendre une deuxième langue, en particulier quand l’élève est adulte. Mais aussi difficile que puisse être le processus d’apprentissage, il peut aussi être l’une des expériences les plus enrichissantes. Il en est de même pour les enjeux politiques, souvent très complexes, reliés à la diversité linguistique en général et, plus particulièrement, aux relations entre anglophones et francophones au Canada. Comprendre et négocier ces enjeux est un processus long, ardu, et parfois frustrant, mais au bout du compte, ça en vaut la peine.