Alors qu’un Canadien sur deux éprouve de grandes difficultés à comprendre ce qu’il lit et à faire usage de cette information, la websérie de fiction L’Écrivain public, accessible depuis peu sur le site de TV5 Canada, interroge l’analphabétisme, un mal qui touche l’ensemble du pays, et sa prise en charge.
Mathieu est un écrivain public au Centre communautaire central de Montréal. Il aide les gens dans leurs combats quotidiens, petits et grands, avec les autres, avec eux-mêmes, avec les mots. Mathieu est un pont,
« un outil de changement », pour reprendre les termes de son patron, M. Hautcoeur. Il est leur bouche, leurs mains lorsqu’il s’agit de faire valoir leurs droits, de trouver un emploi ou tout simplement d’écrire une lettre d’amour.
« La profession est méconnue au Canada », souligne Marco Frascarelli, le producteur de la websérie, « et l’on ne compte qu’une poignée d’écrivains publics au Québec ». Il faut dire que la question de l’analphabétisme est sensible : « les gens tendent à cacher leur handicap, par honte ».
Lorsqu’on voit Mathieu forcé de battre le pavé en quête de personnes à aider, parce que ces dernières ne sont pas conscientes qu’il est là pour se rendre utile ou encore qu’elles s’emmurent dans une sorte de résignation, voire de déni, on comprend bien l’ampleur de la dimension humaine : celle de l’écoute, du rapprochement, de la compréhension. De la confiance en l’autre pour retrouver un pouvoir sur sa vie.
La confiance, c’est celle de prêter sa voix à celle d’un autre. La personne doit permettre à l’écrivain public de s’approprier son message de la même manière que ce dernier doit permettre à la personne de se réapproprier des mots qui ne sont pas les siens, avec les risques que cela comporte : l’empathie, l’attachement qui poussent à vouloir trop en faire, l’ingérence que l’on ne peut totalement réprimer…
Lire et écrire : des pratiques à valoriser
Michel Duchesne, le scénariste de la websérie, connaît son sujet – lui qui a été écrivain public deux années durant. « Beaucoup de personnes n’ont pas même les mots pour exprimer leur besoin, des carences qui remontent souvent à la petite enfance », explique-t-il, décrivant son rôle d’alors comme celui d’« un pansement sur une hémorragie ». Dans cette optique, l’écrivain public a un rôle curatif : il n’est pas un formateur, même s’il peut renvoyer vers d’autres organismes spécialisés.
Le système éducatif est-il à pointer du doigt ? Toutes les études récentes démontrent que les jeunes en fin de secondaire ont un meilleur niveau de lecture que leurs aînés directs, que l’environnement ne pousse plus à lire. La faculté à lire et surtout à comprendre ce que nous lisons diminue si elle n’est pas stimulée.
C’est précisément ce mal, cet « analphabétisme fonctionnel », qui touche tant d’adultes canadiens. « Lorsqu’on décode un mot à la fois, on perd facilement le sens du texte », rappelle Michel Duchesne.
La technologie, solution ou nouveau facteur d’exclusion ?
À l’heure des textos, des courriels, des réseaux sociaux et plus généralement de l’invasion des écrans connectés, la voix passe souvent par l’écriture – tandis que celle des autres nous parvient par la lecture. Celles et ceux qui sont dans l’incapacité de lire et d’écrire, qui sont privés de ce mode de communication et de compréhension du monde qui les entoure, sont atteints dans leur dignité et leur identité.
Démarches administratives, accès à l’emploi et jusqu’au contact avec ses amis : la technologie est partout. Mais Marco Frascarelli le souligne, elle peut être un problème pour qui veut apprendre à lire ou à écrire. Pour un analphabète, quelle différence entre un crayon et un clavier, le papier et l’écran ?
La technologie est d’ailleurs relativement absente de cette première saison de la websérie : l’ordinateur est l’outil de l’écrivain public. Le jeune Pete envoie des textos écrits au son, symptomatiques d’un Internet qui ne reçoit pas les attentions éditoriales des supports classiques d’apprentissage : les livres.
Tout est lié, selon Michel Duchesne. « L’édition est en berne, la lecture l’est aussi. On voit fleurir les vidéos dans la presse en ligne, au détriment des articles. Gagner du temps, aller à la facilité. De quoi faire de nous des consommateurs plus que des citoyens capables et responsables. »
L’écrivain public, à suivre
sur le site de TV5 Canada :
www.tv5.ca/lecrivain-public